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Judaïsme et justice sociale

« Sion sera rachetée par la justice et ceux qui reviendront d’exil par la Tsédaka » (Isaïe 1, 27). L’injonction de justice sociale, que résume en Hébreu le terme de Tsédaka, traverse la Torah. Elle incombe au particulier comme à la collectivité, s’exprime dans les actions individuelles et s’inscrit dans les institutions économiques. De sa réalisation ne dépend pas seulement l’accomplissement de certains commandements de la Torah, mais le salut d’Israël et l’accueil en son sein de la présence divine.
Judaïsme et justice sociale

De quoi dépendent le salut d’Israël et sa Délivrance (Guéoula) ?

À cette question, le prophète Isaïe apporte une réponse tranchante : de la justice (Mishpat) et de la Tsédaka.

La justice, en tant qu’institution et en tant que procédure, est évidemment centrale à l’organisation et à la pacification des relations humaines.

La notion de Tsédaka, que nous choisissons de ne pas traduire pour la différencier de la charité, demande explication.

Les Sages d’Israël, dans le Traité des Pères (5, 10) résument le problème de la façon suivante : « Celui qui dit “ce qui est à moi est à moi, ce qui est à toi est à toi”, sa ligne de conduite est celle de l’homme moyen. Et certains disent : “c’est celle des gens de Sodome” ».

La conduite en question semble, en première approche, légitime. Si les Sages la qualifient de moyenne, c’est qu’au nom du respect de la propriété privée, elle définit l’homme comme un individu, comme une entité fondamentalement séparée de son prochain.

Poussée à la limite, cette attitude rejoint l’éthos de Sodome, autrement dit l’indifférence totale au sort d’autrui, qui mène la société à sa destruction.

L’éthique du judaïsme pose au contraire l’amour du prochain [1]Lévitique 19, 18. et la responsabilité envers autrui comme valeurs centrales non seulement de la vie en société mais de la construction de l’homme qui doit habituer son cœur à donner s’il veut ressembler à son Créateur.

Elle prend sa source au fondement même de l’histoire d’Israël avec Abraham que l’Eternel, sous le nom du Tétragramme YHVH, désigne en disant : « Oui, Je l’ai chéri, car Je sais qu’il prescrira à ses enfants et à sa maison après lui de garder le chemin de YHVH, en pratiquant la Tsédaka et la justice (Mishpat) […] » [2]Genèse 18, 19. De façon significative, ce verset précède l’annonce de la destruction de Sodome et Gomorrhe..

Les Sages d’Israël expliquent [3]Talmud de Babylone, Traité Yébamot 79a.: « Garder le chemin de YHVH, ce sont les actions de bienfaisance (Gmilout Hassadim) ».

Celles-ci se distinguent de la Tsédaka qui n’émane pas de la compassion de la personne qui donne mais constitue un dû pour la personne qui la reçoit.

À la différence de la notion de charité, elle est une obligation pour celui qui la transmet qui n’est donc pas, à proprement parler, un “donateur”, mais plutôt le conduit par lequel ceux qui vivent dans le besoin reçoivent ce qui leur revient de droit.

Maïmonide, se référant à ce verset et au prophète Isaïe cité plus haut, statue dans son code de la loi [4]Mishné Torah, Séfer Zeraïm, Lois concernant les dons aux pauvres, chapitre 10, Halakha 1.: « Il est un devoir d’être attentif au précepte de la Tsédaka plus qu’à tous les autres commandements positifs, car la Tsédaka est le signe des Justes, descendants d’Abraham notre père […] ».

Une prescription qui fait écho à l’enseignement de Rabbi Akiva selon lequel le verset « […] tu aimeras ton prochain comme toi-même, Je suis YHVH » est le socle sur lequel repose toute la Torah [5]Rapporté par Rachi sur Lévitique 19, 18..

La Torah en ce sens ne se réduit pas à une religion : elle est un pacte d’Alliance qui relie la connaissance de Dieu à l’élévation de l’homme au statut de Juste (Tsadik) et à la réalisation d’une société de justice sur terre.

C’est pourquoi le verset se termine par le rappel « Je suis YHVH », comme pour dire “Tu ne peux Me connaître qu’à cette condition”.

Le couplage des notions de Tsédaka et de justice, qui laisse entrevoir le concept moderne de justice sociale, n’est évidemment pas fortuit.

L’autre nom de la justice en Hébreu est en effet Tsédek, autrement dit le masculin de Tsédaka.

Dans un très beau texte, le Rav Eliahou Zini [6]Eliahou Zini (1982), “Géoulat HaAdam”, Shoresh, Jérusalem, Juin 1982, pp. 21-30 (en Hébreu). souligne la relation fondamentale qui unit les deux concepts.

La Tsédaka est en effet un aspect du concept plus général de justice (Tsédek), qui est indissociable de la condition d’hommes libres des êtres auxquels elle s’applique et de la responsabilité qu’elle engage.

L’injustice sociale fondamentale de ce point de vue consiste à priver les hommes des moyens qui garantissent leur liberté, leur capacité à ne pas tomber sous la domination d’autrui, en un mot leur dignité d’être humain.

C’est pourquoi la forme la plus haute de Tsédaka consiste, selon Maïmonide [7]Mishné Torah, Séfer Zeraïm, Lois concernant les dons aux pauvres, chapitre 10, Halakha 7., à aider son prochain tombé dans le besoin à retrouver son indépendance économique en lui faisant un don, ou en lui accordant un prêt, voire en lui proposant une association qui lui permette de faire face à ses besoins sans dépendre d’autrui.

Ce qu’exprime le verset : « Si ton frère vient à déchoir, si tu vois chanceler sa fortune, soutiens-le, qu’il soit converti ou un étranger : qu’il vive avec toi ! » [8]Lévitique 25, 35.

Dans la société agricole à laquelle se réfère la Torah, l’obligation de soutenir « la veuve, l’orphelin et l’étranger » prend d’abord la forme de prélèvements opérés sur la récolte.

La dîme, correspondant au dixième de la récolte, est versée aux pauvres lors de la troisième et la sixième année du cycle de la Shemita, le produit de la terre étant à la disposition de tous pendant la septième année.

La loi hébraïque impose en outre aux agriculteurs de laisser aux pauvres la jouissance des coins des champs et de ne pas ramasser les épis tombés au moment de la moisson.

À ces commandements, qui assurent une subsistance minimale aux indigents, la Torah ajoute l’obligation pour toute personne de verser la Tsédaka, définie en pratique comme Ma’asser Kessafim, soit au minimum un dixième et au maximum un cinquième de son revenu net.

Point remarquable, l’effort du donneur doit s’ajuster ici aux besoins objectifs mais aussi subjectifs des personnes tombées dans la pauvreté.

Cela signifie que leur statut social antérieur doit être pris en compte dans la mesure des possibilités du donneur et des besoins des autres personnes dépendantes de la Tsédaka.

L’intention ici étant non seulement de soutenir la personne déchue mais aussi de l’aider à se relever socialement.

L’importance de la Tsékada dans la régulation de la vie sociale et l’affirmation de l’esprit de responsabilité collective du peuple est telle qu’elle n’est pas livrée au bon vouloir de chacun mais constitue un devoir pour la communauté qui doit s’organiser pour la mettre en œuvre.

Telle est la fonction des caisses de Tsédaka, dont l’existence est attestée par la Mishna [9]La mise par écrit de la Mishna, dont l’enseignement était initialement oral, remonte à la fin du IIe siècle de l’ère courante. Il s’ensuit que l’institution publique des caisses de … Continue reading, qui étaient administrées par deux représentants de la collectivité, chargés de collecter auprès des personnes aisées, y compris par la contrainte, les ressources ensuite distribuées aux pauvres selon leurs besoins (alimentaires, vestimentaires, éducatifs, médicaux, etc.).

Ce dernier point est important car il signifie que les sommes prélevées pour la mise en œuvre de la Tsédaka publique peuvent dépasser le cinquième des ressources des personnes mises à contribution, contrairement aux règles fixées pour la Tsédaka individuelle.

Loin d’être un commandement individuel, la Tsédaka, dans sa dimension publique, revêt l’aspect d’un impôt au sens moderne du terme, dont le produit est exclusivement affecté à l’action sociale, autrement dit à la couverture des besoins de base des plus démunis.

Au-delà de cette couverture, la fonction de réhabilitation sociale des personnes en difficulté, à commencer par les plus proches en termes de parenté ou de résidence, incombe à chacun à travers le Ma’asser Kessafim.

La Torah toutefois ne se contente pas de lutter contre ce que l’on appelle de nos jours l’exclusion sociale.

Elle met en place des règles, que l’on peut qualifier de structurelles, qui visent à prévenir la formation de trappes à pauvreté et la reproduction des logiques d’exclusion.

La première porte sur le statut d’hommes libres des Hébreux : à une époque où l’esclavage était une pratique courante, la Torah affirme les droits de ceux qui ont été obligés de se vendre comme esclaves [10]Lévitique 25, 39. pour rembourser une dette ou pour subvenir à leurs besoins les plus élémentaires et ordonne leur libération au terme de six années. [11]Exode 21, 2.

La liberté de l’homme ne se réduit pas cependant à la préservation de son autonomie sociale.

Elle suppose qu’il ait les moyens de découvrir sa vocation et de l’assumer.

La loi juive adresse cette question en fixant parmi les obligations d’un père vis-à-vis de son fils celle de l’éduquer et de lui apprendre un métier [12]Talmud de Babylone, Traité Kiddoushin 29a..

Selon Rabbi Yishmaël [13]Voir Talmud de Jérusalem, Traité Kiddoushin 1, 7., cette obligation répond à l’injonction de la Torah « Tu choisiras la vie » [14]Deutéronome 30, 19., comme pour souligner qu’une vie sans les moyens de son accomplissement n’en est pas une.

Cependant, cette responsabilité n’incombe pas seulement au père.

Elle concerne les familles qui ont des enfants comme celles qui n’en ont pas et doit inclure les orphelins, ce qui fait écho à la désignation du peuple comme étant « Enfants d’Israël » (Bné Israël) : tous sont enfants d’un même père, Israël, tous ont droit à la même dignité d’hommes libres et tous sont responsables les uns des autres [15] Talmud de Babylone, Traité Sanhédrin 27b..

Ce qui a conduit les Sages d’Israël, il y près de 2000 ans sous l’impulsion de Yéhoshua Ben Gamla, à décréter l’instruction publique gratuite pour tous les enfants dès l’âge de 6 ou 7 ans, le salaire de l’instituteur étant financé par la communauté.

Autre règle fondamentale, l’institution du Jubilée (Yovel) traduit le caractère inaliénable des terres distribuées à chaque famille lors de l’entrée en Israël à l’époque de Josué.

Si le lopin familial a dû être vendu ou hypothéqué, il retourne automatiquement à son propriétaire initial à l’arrivée du Jubilée, tous les cinquante ans, évitant la propagation d’une génération à l’autre des situations de pauvreté.

Une problématique comparable est à l’œuvre dans le commandement d’annulation des dettes au terme de l’année de Shemita — la septième année du cycle agricole correspondant au Shabbat de la terre.

La portée de cette règle extraordinaire a dû être atténuée lorsque les Sages d’Israël ont constaté qu’elle dissuadait les personnes aisées de prêter à l’approche de la septième année.

Le décret de Hillel l’Ancien (premier siècle avant l’ère courante) instituant le Prozbol permet en pratique de contourner l’annulation des dettes afin d’éviter que « les portes ne se ferment devant les emprunteurs » [16]Mishna, Traité Shevi’it 10, 3 et 4., autrement dit que les personnes dans le besoin se trouvent devoir mendier plutôt que de recourir à un prêt.

Sur cette question du prêt, la Torah pousse à sa conclusion ultime l’exigence de fraternité et l’esprit d’entraide en interdisant la rémunération du crédit, quelles que soient sa forme et sa finalité (consommation ou investissement) [17]Exode 22, 24 ; Lévitique 25, 36-37..

Cette règle qui invalide le fondement même des économies de crédit modernes trouve sa justification dans l’esprit du prêt (s’il s’agit d’entraide) ou dans la nature de la relation qui relie créancier et débiteur (s’il s’agit d’affaires).

Dans le premier cas, l’intérêt constitue une exploitation de l’état de détresse de l’emprunteur, assimilée par la Torah à la morsure d’un serpent.

Dans le second, la Torah statue que la seule relation légitime est l’association des partenaires sous forme de participation dans l’investissement, participation qui assure un partage équitable des pertes comme des profits, à la différence du crédit à intérêt qui fait porter l’essentiel des risques au débiteur (le risque de défaut étant couvert par l’hypothèque de ses actifs).

Surtout, la Torah souligne la situation d’assujettissement du débiteur qui résulte du prêt à intérêt, une situation qui nie sa condition d’homme libre et reproduit la mentalité d’asservissement qui prévalait en Égypte.

Ce pourquoi elle ponctue les versets relatifs à l’interdit de l’intérêt par le rappel : « Je suis YHVH votre Élohim, qui vous ai fait sortir de la terre d’Égypte pour vous donner la terre de Canaan et être pour vous votre Élohim » [18]Lévitique 25, 38., sous-entendu : pour y construire une société de justice et de fraternité et non pas une réplique de la maison d’esclavage.

Références

Références
1Lévitique 19, 18.
2Genèse 18, 19. De façon significative, ce verset précède l’annonce de la destruction de Sodome et Gomorrhe.
3Talmud de Babylone, Traité Yébamot 79a.
4Mishné Torah, Séfer Zeraïm, Lois concernant les dons aux pauvres, chapitre 10, Halakha 1.
5Rapporté par Rachi sur Lévitique 19, 18.
6Eliahou Zini (1982), “Géoulat HaAdam”, Shoresh, Jérusalem, Juin 1982, pp. 21-30 (en Hébreu).
7Mishné Torah, Séfer Zeraïm, Lois concernant les dons aux pauvres, chapitre 10, Halakha 7.
8Lévitique 25, 35.
9La mise par écrit de la Mishna, dont l’enseignement était initialement oral, remonte à la fin du IIe siècle de l’ère courante.

Il s’ensuit que l’institution publique des caisses de Tsédaka était en vigueur bien avant cette période.

Voir Michael Wygoda, La justice sociale dans les textes du judaïsme, Pardès, N° 54, 2013/2.

10Lévitique 25, 39.
11Exode 21, 2.
12Talmud de Babylone, Traité Kiddoushin 29a.
13Voir Talmud de Jérusalem, Traité Kiddoushin 1, 7.
14Deutéronome 30, 19.
15 Talmud de Babylone, Traité Sanhédrin 27b.
16Mishna, Traité Shevi’it 10, 3 et 4.
17Exode 22, 24 ; Lévitique 25, 36-37.
18Lévitique 25, 38.

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