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L’entrée de la maison, un entre-deux monde

L’entrée est un lieu sensible. C’est un sas entre le dehors et le dedans: tout ne peut y entrer mais elle doit aussi accueillir le visiteur. Le modèle : les tentes de Sarah et d’Abraham…
L'entrée de la maison, un entre-deux monde

Les cabalistes révèlent que la différence entre le in et le out n’est pas qu’une perception humaine basée sur l’expérience mais une donnée établie par le Créateur, une distinction de nature entre domaine public et domaine privé.

Dans de nombreux pays, on se déchausse en entrant dans une maison.

En occident, on s’essuie ostensiblement les pieds sur le paillasson pour souligner notre déférence à l’habitant des lieux et lui montrer que nous avons conscience de pénétrer dans un espace séparé.

En Afrique, au village, on se signale en prononçant un sonore « kong, kong ! » au seuil des cases qui n’ont pas de porte et c’est souvent à l’entrée des lieux d’habitation que l’on dispose les fétiches protecteurs les plus puissants que l’on possède.

En fait, il n’est pas une seule contrée sur terre où l’on ne marque pas une nette distinction entre le dehors et le dedans.

Le monde juif a théorisé cette intuition qu’intérieur et extérieur sont de nature différente.

Ce qui se situe à l’extérieur est dangereux et l’intérieur peut présenter, sous certaines conditions, une protection contre les dangers.

Comprenons : le dehors n’est pas juste le terrain des expériences douteuses – rencontres interlopes, chiens errants, germes malsains, saleté et intempéries menaçantes.

Et le dedans n’est pas seulement le lieu de l’entre-soi où, protégés par un toit et quatre murs, réunis dans une douce chaleur, nous sommes rassurés par nos repères intangibles; « nous » protégé de « l’autre ».

Il y a autre chose. Le domaine public, en araméen alma di perouda, est celui du « multiple », des forces négatives, un monde où il faut opérer des tris, où les choix à faire sont nombreux : séparer le Mal du Bien, le mortifère du bénéfique.

Le dehors doit être tenu à distance du domaine privé, l’espace de la maison qui lui, a un caractère sacré : alma di ye’houda, le monde de l’unité, un domaine qui « appartient » à D.ieu disent nos Maîtres.

Il est dit en effet que dans une maison juive, nous reproduisons les gestes d’offrande au Temple, autant que le Temple reproduisait les gestes du Juif dans sa maison.

Notre maison est un temple et le Temple est notre demeure.

C’est pour cela que la loi juive nous sensibilise autant à la difficulté que représente le passage d’un domaine à l’autre.

On pense ici à toutes les lois qui imposent l’interdiction de faire passer [1]Pendant Shabbat et Yom Tov – les samedis et jours de fête du calendrier juif, jours éminemment particuliers, distincts du temps « profane », dédiés au Divin des objets du domaine public au domaine privé et inversement, à savoir les règles relatives à la fabrication d’un erouv[2]Erouv : ceinture qui réunit des territoires disjoints pour en faire un seul domaine privé.

Tant de choses se passaient à « l’Ouverture de la Tente du Rendez-vous [3] Péta’h Ohèl Mo’èd, l’entrée de la Tente d’Assignation ». Les sacrifices y étaient présentés pour adoucir les « rigueurs » du monde extérieur et tenir à distance ses périls, pour ne faire entrer sous la tente que de bonnes choses.

Aujourd’hui, la mezouza[4] Parchemin reproduisant les deux premiers paragraphes du Chema Israël, ainsi qu’un des noms de D.ieu : שדי Chadaï, acronyme de Chomer Daledot Israël, “Gardien des portes du peuple … Continue readingremplit cette fonction.

Elle est fixée au montant droit de la porte d’entrée – le côté droit est toujours associé au ‘hessed, au tov, au bon – très précisément dans le tiers inférieur du tiers supérieur du linteau.

Elle opère symboliquement au niveau de l’action de l’intellect[5]Le linteau est départagé en trois parties : la partie basse correspond à l’action, la partie centrale aux sentiments et la partie supérieure à l’intellect. On départage de nouveau chaque … Continue reading, et elle sert, pour certains commentateurs, autant de protection contre les dangers du monde que de rappel identitaire « ici, maison juive ».

Elle nous sert aussi de moyen pour ne pas succomber nous-même à nos mauvaises impulsions[6]Mena’hot 43b, à bien se comporter.

La Cabale ajoute que la mezouza correspond à la sphère ésotérique du Yessod[7]Selon la conception de l’Arbre de Vie, le schéma séfirotique, le « fondement » de l’homme qui, comme lui, doit tout placer sous le signe de l’Alliance, la Brit[8]Alliance.

On le comprend maintenant, l’entrée d’une maison est un lieu sensible puisqu’elle est le point de contact entre extérieur et intérieur.

C’est un sas : tout ne peut y entrer et en même temps, il faut que le visiteur bienveillant s’y sente pleinement accueilli. Voilà un joli paradoxe : l’entrée d’une maison doit être à la fois fermée et ouverte !

La tradition juive en offre le modèle. D’un côté la tente d’Abraham était ouverte aux quatre points cardinaux pour héberger les étrangers de passage et de l’autre, on dit de la tente de Sarah qu’elle abritait la She’hina, la Présence divine.

Voilà la double caractéristique d’une maison juive.

Alors, comment aménager une entrée, cet espace critique entre public et privé, pour qu’elle remplisse sa double fonction de filtre et d’accueil ?

On veillera à sécuriser la porte d’entrée pour parer à toute effraction, autant qu’on s’attachera à ce qu’elle s’ouvre facilement, sans grincements ni frottements.

Idéalement, l’entrée constituera un espace de transition clairement marqué vers la pièce de réception. Elle devra être dégagée et régulièrement désencombrée, généreusement éclairée d’une lumière blanche.

On n’y déposera pas d’images ou de bibelots trop personnels pour ne pas dévoiler au visiteur inconnu des informations sur les membres de la famille.

On n’y disposera pas de miroir face à la porte, qui renverrait le reflet du visiteur pour ne pas lui donner le sentiment qu’il doit s’en retourner chez lui.

De la même manière, une entrée ne devrait pas être disposée juste en face d’une porte ou d’un escalier pour ne pas l’attirer vers les profondeurs de la maison.

Ainsi, les enveloppes protectrices s’inscrivent dans une continuité : frontières d’un pays qui protègent un peuple, enceinte de la cité qui garantit sécurité à une communauté, maison qui protège ses habitants, vêtements qui recouvrent le corps et enfin la peau – dernière enveloppe pour notre nechama[9]l’âme divine.

C’est pour cela que l’on n’entre pas directement dans une maison, même l’époux qui revient chez lui ne doit pas y pénétrer brusquement, mais marquer le pas et se signaler à la maisonnée.

« Tu confectionneras un écran pour l’entrée de la Tente[10]Exode Terouma 26.36 (…) ».

Le mois prochain בסייד nous parlerons du salon, la pièce de réception, avant de pénétrer plus avant vers les espaces qui doivent rester, on le comprend mieux maintenant, dissimulés aux regards et réservés aux intimes : la cuisine, les pièces d’eau et les chambres.

Références

Références
1Pendant Shabbat et Yom Tov – les samedis et jours de fête du calendrier juif, jours éminemment particuliers, distincts du temps « profane », dédiés au Divin
2Erouv : ceinture qui réunit des territoires disjoints pour en faire un seul domaine privé
3 Péta’h Ohèl Mo’èd, l’entrée de la Tente d’Assignation
4 Parchemin reproduisant les deux premiers paragraphes du Chema Israël, ainsi qu’un des noms de D.ieu : שדי Chadaï, acronyme de Chomer Daledot Israël, “Gardien des portes du peuple juif”.

Il est enveloppé dans un étui et fixé au montant de la porte

5Le linteau est départagé en trois parties : la partie basse correspond à l’action, la partie centrale aux sentiments et la partie supérieure à l’intellect.

On départage de nouveau chaque partie en trois parties : action, sentiments et intellect…

6Mena’hot 43b
7Selon la conception de l’Arbre de Vie, le schéma séfirotique
8Alliance
9l’âme divine
10Exode Terouma 26.36

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