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« Les Méditerranéennes » d’Emmanuel Ruben

Décembre 2017, banlieue de Lyon. Samuel retrouve sa famille maternelle le temps d’un dîner de Hanouka haut en tohu-bohu et récits bariolés de leur Algérie, de la prise de Constantine en 1837 à l’exode de 1962.
"Les Méditerranéennes" d'Emmanuel Ruben

’C’est l’image de la tante Déborah se levant sans cesse pour rallumer, au milieu des rires et des larmes, dans le tohu-bohu des blagues juives et des engueulades familiales, la dernière bougie de Hanouka qui symbolise la présence divine et compte autant de branches que la « smalah ».

C’était un vieux chandelier à neuf branches de facture assez classique, un vieux chandelier comme on en voit dans toutes les familles juives, un de ces objets sans âge, transmis de père en fils, de mère en fille, et qui pouvait tout aussi bien provenir de fouilles archéologiques et donc de la plus haute antiquité que de la sombre échoppe d’un artisan juif de Constantine. ‘’

Dans « Les Méditerranéennes », ce roman dédié à sa famille maternelle, Emmanuel Ruben remonte le cours de l’histoire vers “cette Jérusalem africaine nommée Constantine, la ville aux sept ponts suspendus ”, où prend racine son ascendance juive berbère.

Les lumières de Hanouka illuminent le récit porté par les légendes du chandelier à neuf branches transmis de génération en génération comme leur plus précieux trésor.

Samuel Vidouble, alter ego de l’auteur, restitue les voix de toutes les femmes juives de la famille, ces Méditerranéennes “ qui portaient le monde sur leurs épaules et le pays dans leur ventre ”.

Elles se prénomment Baya-Reine, Déborah, Rose, Myriam, Raphaëlle, Elisabeth, Rebecca et Solange, chacune allume l’une des bougies de la fête et porte son histoire.

Mais celle de Mamie Baya, la grand-mère de Samuel, figure centrale de la tribu, est la plus attachante.

Née le 4 août 1914, à Constantine, à la veille du conflit mondial qui la privera de son père pendant ses premières années, l’enfant porte le prénom de Baya,ou  grande dame distinguée en langue arabe et celui de Reine, pour faire français.

Cette grand-mère au parfum d’eau de rose, qui suce des cachous Lajaunie, qui peut réciter par cœur les prières dans toutes les langues de ses ancêtres, est celle qui évoque aux oreilles de son petits-fils les exploits guerriers de la Kahena, persuadée que le précieux chandelier familial leur venait en droite ligne de la Reine berbère et juive.

C’est grâce à sa grand-mère Sultana que ce trésor fut caché au bord de l’oued Rhummel en 1836, lors de la prise de Constantine par les troupes françaises.

Avec l’histoire de Déborah, dernière héritière du chandelier, Samuel apprend comment le fameux décret Crémieux du 24 octobre 1870 déclarant Français les indigènes juifs d’Algérie était perçu dans la famille comme “ l’origine des emmerdements ” en ce qu’il avait creusé l’écart d’avec les Arabes, leur avait fait subir les lois de Vichy et causé in fine leur exil en 1962.

La grand-tante Myriam évoque pour Samuel le pogrom de Constantine du 5 août 1934 contre les habitants du quartier juif, avec la complicité des autorités françaises.

Le roman met en lumière les massacres du 8 mai 1945, à Guelma où vivaient Baya-Reine et Roger son mari, à Constantine, à Sétif … prélude sanglant à la guerre d’Algérie.

Roger qui se sentait, comme beaucoup de juifs, coupé en deux, entre son aspiration à l’indépendance du pays et sa fidélité à la République, va mettre fin à sa vie un jour de juillet 1957.

Mais le sujet reste tabou, jusqu’à Solange, la fille cadette de Déborah, lorsqu’elle découvre, quarante ans plus tard, le secret du chandelier.

Emmanuel Ruben conte avec brio ce récit familial lourd de tant de blessures cachées sous une généreuse couche d’énergie vitale. S’il prête à Mamie Baya ces mots: “ la mémoire est toujours infidèle ”, il restitue un pan oublié de celle des Juifs d’Algérie.

Une réponse

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