Leonard Bernstein est né le 25 août 1918 dans une famille d’immigrants juifs vivant à l’époque dans le Massachusetts.
Le jeune homme étudia la bible en hébreu ainsi que le Talmud de son père Samuel : la famille fréquentait la synagogue Mishkan Tefila, une communauté relativement réformiste pour l’époque puisque autorisant les prières avec des chorales mixtes. Bernstein composa, plus tard dans sa carrière, de nombreuses œuvres symphoniques, pièces de théâtre et bande-son de films en lien avec son identité juive.
À l’origine basée sur une histoire d’antisémitisme des « Jets » contre les « Esmeralds », West Side Story, créée en 1957 et se déroulant dans le quartier de l’Upper West Side, en est l’illustration.
Après le succès de ce drame lyrique incontournable, Bernstein pense avoir atteint un plafond de verre. Alors qu’il célèbre le 70ᵉ anniversaire de son père dans une Yéchiva Loubavitch de Boston, germe en lui l’idée de cette troisième symphonie : ce sera le texte du Kaddish, prière hébraïque de louange en l’honneur de D.ieu.
Dans une série d’entretiens avec Enrico Castiglione (1989, 1991), Leonard Bernstein se confie sur sa foi : « Dans ma symphonie Kaddish, j’ai essayé d’exprimer ce manque de foi, en vivant de manière intense ce déchirement entre l’homme et son D.ieu, en reconnaissant toujours à l’homme la possibilité de se rapprocher de D.ieu. »
Dans des notes de l’assistant de Bernstein, Jack Gottlieb, celui-ci fait allusion à l’attirance du compositeur pour cette « particulière judéité de cette relation homme-D.ieu […] qui permet de dire à D.ieu des choses qui sont presque inconcevables dans d’autres religions ». Il fait référence au mouvement Loubavitch auquel appartenait son père.
Le compositeur américain estimait important, en raison de la nature juive de l’œuvre, que la création de celle-ci ait lieu en Israël avec l’Orchestre Philharmonique du jeune pays. La symphonie reçut un accueil enthousiaste en terre sainte malgré le côté blasphématoire de certains passages de l’œuvre que Bernstein affirmait faire partie de la pensée juive
Bernstein a par ailleurs contribué à la redécouverte d’un autre compositeur juif, Gustav Mahler.
Il ne fut pas le premier à diriger sa musique aux États-Unis.
Son rapport à Mahler, quasi fusionnel, voire obsessionnel, est perçu comme une identification. Dans une lettre à sa sœur, il affirme : « Quand je dirige les œuvres de Mahler, il me semble jouer certaines des miennes. ». Cette identification se retrouve dans son parcours de compositeur qui, comme son homologue, fonde son œuvre sur des éléments triviaux, populaires et des références au judaïsme, notamment dans sa 3ᵉ symphonie Kaddish que nous avons cité plus haut.
L’engagement de Bernstein pour la musique de Mahler l’amène aussi à défendre son œuvre dans le reste du monde. En 1966, alors qu’il dirige l’orchestre philharmonique de Vienne, il remet au programme de l’orchestre la 2ᵉsymphonie, qui n’avait pas été jouée depuis l’Anschluss de 1938, et ce, malgré un antisémitisme encore prégnant au sein de la formation viennoise — certains des musiciens de l’orchestre avaient d’ailleurs été membres du parti nazi. Bernstein dirigea régulièrement l’orchestre chaque saison dans les œuvres de Mahler à partir de 1983 jusqu’à 1990.
Gustav Mahler voit, lui, le jour dans une famille d’aubergistes juifs le 7 juillet 1860 à Kaliste dans l’empire d’Autriche et meurt le 18 mai 1911 à Vienne.
Dès le plus jeune âge, la pensée juive l’attire. Pour des raisons pratiques, il se fait baptiser à Hambourg au début de 1897, mais la question juive le touche de près : il ne cachera jamais son origine juive, mais ne l’affichera jamais officiellement. Le public viennois l’aura d’ailleurs en grippe, à cause de cet attachement, lors de son passage dans la capitale autrichienne.
De plus, sa musique fut bannie sous le Troisième Reich. L’élément juif est présent sous diverses formes, inspiré par la musique klezmer et la liturgie des synagogues.
En novembre 1901, Gustav Mahler, alors directeur de l’opéra de Vienne, rencontre Alma Schindler (1879-1964), de dix-neuf ans sa cadette. Issue d’un milieu cultivé et excellente pianiste, la jeune fille s’intéresse à l’art et étudie la composition avec Alexander von Zemlinsky, beau-frère et ancien professeur d’Arnold Schönberg. Grâce à Alma, le compositeur rencontre des artistes éminents comme le poète dramatique Gerhart Hauptmann, les peintres Gustav Klimt ou le chef de file de l’avant-garde musicale viennoise Arnold Schönberg, dont Mahler devient le défenseur et le protecteur. Souvent sacrifiée au travail d’un mari exigeant et à sa demande, Alma renonce à la composition pour partager la vie intellectuelle et sensible de cet époux qu’elle considère alors « comme l’homme le plus noble, le plus pur » qu’elle ait jamais connu.
Dans l’œuvre des deux compositeurs, on retrouve la même fascination pour l’innocence de l’enfance, la même obsession du paradis, qu’il soit terrestre ou céleste. Il est clair que ces deux-là n’auraient pas eu la notoriété qu’on leur connaît actuellement l’un sans l’autre. Cette interdépendance de deux êtres qui ne se seront jamais côtoyés interroge et fascine.
Bernstein fut, assez logiquement, enterré avec la partition de la 5ᵉ symphonie de Mahler.