En ce 20 décembre 1936, c’est avec fébrilité que Bronislaw Huberman et Chaim Weizmann attendent leur invité à l’aéroport de Lod.
Dans six jours doit avoir lieu le concert d’ouverture du Palestine Philharmonique.
Cet évènement historique, ce sera Arturo Toscanini, considéré comme l’un des meilleurs chefs d’orchestre virtuoses du XXe siècle qui le dirigera, pour lui donner toute l’ampleur méritée. Un rêve formulé par Bronislaw Huberman un an plus tôt.
Le violoniste juif polonais, né en 1882, est considéré comme le meilleur interprète de Beethoven de son époque et a même réussi à émouvoir aux larmes Johannes Brahms devant qui il a joué son fameux concerto.
Mais le temps des prodiges musicaux est vite balayé par la férocité nazie qui chasse le virtuose d’Allemagne, son pays de résidence en 1933.
Visionnaire, il comprend qu’il n’y a plus d’avenir possible pour les Juifs en Europe et se donne alors pour mission de créer un « orchestre juif d’exilés » constitué par 80 musiciens juifs et plus de 900 membres de leur famille.
« Il faut lever le poing contre l’antisémitisme, et un orchestre de première classe représentera ce poing » déclare Huberman déterminé à agir contre vents et marées.
Et pour cause. Huberman doit en effet lutter afin d’obtenir des certificats d’immigration pour les musiciens venus en majeure partie d’Allemagne. En avril 1936, précisément au même moment où il souhaite les faire venir en Palestine, les Britanniques limitent sévèrement l’immigration juive, cédant aux pressions de la Ligue arabe.
Huberman se tourne vers l’Agence juive, dirigée par David Ben Gourion, qui oppose que les musiciens ne sont pas nécessairement le genre de personnes dont le « Ychouv »a vraiment besoin à cette époque…
Frustré, Huberman écrit à Chaim Weizmann : « Si nous ne faisons pas venir ces musiciens en Palestine afin de lancer l’Orchestre Symphonique de Palestine, ce sera une tâche sur le sionisme. »
Weizmann réalise l’importance du projet et réussit à obtenir 50 certificats d’immigration pour Huberman.
Et en ce 26 décembre 1936, 3 000 personnes de la meilleure société, parmi lesquelles le haut-commissaire britannique Arthur Wauchope, Chaim Weizmann, David Ben Gourion, Golda Meir et le maire de Tel Aviv, Dizengoff, se pressent donc à Tel Aviv pour le premier concert de l’Orchestre Symphonique de Palestine.
Ce n’est pas un hasard si c’est Toscanini qui le dirige.
Opposant notoire au fascisme et au parti nazi, il a déjà refusé de participer à un festival à Bayreuth pour protester contre le régime nazi.
Honoré par les dirigeants de la communauté juive de New York et par le Jewish National Fund pour sa prise de position publique, il a d’ailleurs refusé d’accepter le paiement ou le remboursement de son voyage.
Pour lui, il n’y a aucun doute : « Je me devais de montrer ma solidarité. Il est du devoir de chacun d’aider cette cause selon ses moyens. »
Chez le célèbre chef d’orchestre, il y a plus que du devoir : lors de ce séjour mémorable, ne parcourt-il pas le pays pour rencontrer des réfugiés juifs et des immigrants d’Europe, et même participer à une cérémonie de plantation d’arbres ?
Son soutien est total. Pour preuve : il retournera en Palestine en 1938 et dirigera à nouveau une série de concerts avec l’Orchestre Philharmonique de Palestine.
Fin du premier acte et levée de rideau en 1948, année qui voit naître officiellement l’Orchestre Philharmonique d’Israël (IPO).
Depuis lors, l’IPO sera le meilleur ambassadeur culturel du pays, transmettant la joie de la musique et le message de paix d’Israël aux mélomanes du monde entier.
En 1968, Zubin Mehta, le maestro d’origine indienne, en devient le chef d’orchestre puis directeur musical à vie.
Ce dernier a souvent déclaré que l’un de ses moments les plus émouvants a été lorsque l’IPO a accepté de jouer en Allemagne en 1971 et qu’il a pu diriger l’Hatikvah dans le pays qui avait involontairement provoqué l’établissement de l’IPO avec la persécution des Juifs.
À la fin des années 1980, l’IPO s’est rendu à Auschwitz lors d’une tournée de concerts en Pologne, en Hongrie et dans l’ex-Union soviétique.
Nouvelle séquence et gros plan sur le violoniste Shai Nakash. Il incarne tout le talent, la modernité et l’avenir de l’Orchestre Philharmonique d’Israël, version 2022, qu’il a intégré tout récemment en tant que soliste.
Ses parents, ont fait leur Alyah depuis la France il y a 25 ans par idéal sioniste.
Sa mère, Nathalie Seror Nakash, pianiste professionnelle, récipiendaire de nombreux prix, ne cache pas sa fierté de voir le talent de son fils officiellement reconnu par la prestigieuse institution.
Une sorte de récompense « pour les nombreux sacrifices qu’il a fallu faire pour assurer le meilleur enseignement possible à notre fils, à l’étranger notamment ».
Pour Shai, arrivé en Israël à l’âge de 3 ans, c’est un peu comme « boucler la boucle ». « Je parle français, c’est vrai, mais je suis Israélien avant tout, pourtant il est vrai que je suis conscient du chemin parcouru au niveau identitaire. »
Après cinq ans passés en Allemagne, à la Barenboim-Said Academy pour étudier et étudier encore, sans relâche, avec les plus grands, Shai est heureux de « rentrer à la maison » et quelle maison !
L’orchestre philharmonique est à l’image du pays.
« Nous bénéficions d’une liberté qui permet aux musiciens de se construire, de se parfaire. L’ambiance est rigoureuse, mais aussi très chaleureuse et légère, ce qui nous encourage à donner le meilleur de nous-mêmes » explique le musicien plein d’ambition.
Dans une interview, le maestro Metha lui aussi témoignait de la particularité de l’IPO par rapport aux autres orchestres à travers le monde.
« Les musiciens de l’IPO parlent plus, ils écoutent plus, ils ont plus d’opinions et ça me va très bien; j’adore ça ! […] Ils parlent beaucoup, ils jouent, ils se concentrent et, tout d’un coup, un immense et magnifique palais de grands sons se construit. »
Le jeune Lahav Shani a succédé à Zubin Metha en 2021.
« Un être exceptionnel », selon Shai Nakash. « On voit des jeunes émerger. J’en fais partie et c’est réjouissant de savoir que la relève prend doucement forme. »
Il semble que Shai Nakash soit le premier musicien israélien d’origine française à faire partie de l’IPO et l’on ne peut s’empêcher de ressentir une certaine fierté de voir figurer un enfant de l’Alya de France figurer parmi ces musiciens.