Dans ce quatrième roman, « Une larme de Riwka », Laurence Kleinberger fait œuvre de maturité. Tous les éléments éparpillés dans ses précédents récits déjantés trouvent ici leur centre de gravité. Cette « histoire d’oubli et de mémoire » raconte les derniers moments de sa mère, souffrant de la maladie d’Alzheimer. Efrat, un double de l’auteure, bourrée de remords, se voit contrainte de la placer dans un Ehpad, malgré la promesse faite jadis de ne jamais la mettre « dans une maison de vieux ». Heureusement, le frère d’Efrat habite tout près et lui rend visite chaque jour .
Dans de très courts chapitres , un peu à la manière d’un journal de bord, Laurence Kleinberger nous ouvre la porte de ce lieu tout neuf et clinquant où sa mère rejoint la section des malades d’Alzheimer. Elle décrit avec tendresse et de façon très vivante ses compagnons d’infortune, la vie aux limites du surréalisme qui s’y épanouit en toute liberté, sans se départir de son humour décapant – la politesse du désespoir, dit-on.
Elle nous ouvre peu à peu la porte de son cœur brisé, le sentiment d’impuissance, la solitude, la mélancolie, « les matins où elle n’a pas pied ». Dès l’enfance, elle a su qu’elle devait protéger, sauver sa mère si fragile. Cette petite fille qui vivait avec ses parents, Yehuda et Riwka, à Bruxelles en 1942, confiée seule à la nuit, lors de leur arrestation, à la recherche d’une famille qui voudrait bien la cacher. « Riwka en pleurs a pris sa fille dans ses bras. Maman m’a dit : « j’ai senti couler sur mon visage une larme de ma mère » se souvient Efrat, les yeux bordés de larmes.
Une larme – puissante parce que minuscule, image d’une transmission.
L’année de ses 90 ans, un palier est franchi, la vieille dame rejoint l’Unité des grands dépendants. Covid oblige, les pensionnaires sont confinés à plusieurs reprises entre les quatre murs de leurs chambres. Efrat prend un congé sans solde et passe des semaines enfermée avec sa mère pour encore sauver « la petite fille juive pourchassée, cachée, unique survivante de sa famille ». Elle a obtenu l’autorisation du personnel dévoué de l’Ehpad et par sa présence, elle réussit à la maintenir en vie.
Un jour pourtant …
« Maman est morte il y a déjà presque un mois. J’arrive à l’écrire, je pourrais l’écrire partout, sur des pages blanches, sur les murs, je peux l’écrire à l’infini. Mais je n’arrive toujours pas à le dire », ainsi s’achève « Une larme de Riwka », cette longue et Une belle histoire d’amour lie la narratrice à sa mère, au crépuscule de sa vie. Un roman tendre qui oscille du rire aux larmes, de la mémoire à l’oubli, du dit aux non-dits.