On entre dans le roman de Joachim Schnerf par une porte rouge qui donne accès à la loge de Rosa, une actrice d’un âge très avancé, se préparant pour l’ultime représentation de son spectacle intitulé « Camp Camp ».
Le cabaret se situe à Shtetl City, au milieu de nulle part dans le désert du Texas. Rosa est la dernière survivante d’Auschwitz. Son miroir lui renvoie le reflet de deux vieilles gamelles en fer, instruments de sa survie autant que d’un noir secret.
Elle remonte le cours de sa vie mais la décision est prise, ce soir elle va quitter la scène.
À des milliers de kilomètres de là, à Paris, Samuel, son petit-neveu, veille, partagé entre la joie d’un père qui s’apprête à accueillir son premier-né à la maison et l’angoisse de devoir transmettre à cet enfant de la quatrième génération l’héritage de la Shoah.
Au cours de cette longue nuit, lui aussi se remémore le passé.
Il revit par bribes l’été de ses neuf ans dans les montagnes vosgiennes où, en compagnie de sa sœur et de son cousin, il partait la peur au ventre à la recherche du cabaret de Rosa à Shtetl City, dans un désert hostile, cerné par des ennemis imaginaires.
Rosa, déportée à douze ans à Auschwitz, figure légendaire de la famille, a tourné le dos à l’Europe dès la fin de la guerre, délaissant son unique frère, lui-même enfant caché.
Elle qui a toujours refusé de témoigner, accepte finalement sur le tard de s’exprimer dans une émission de radio, suivie à distance par Samuel. Son petit-neveu lui adresse de longues missives auxquelles elle répond de façon laconique, mais le lien est là.
Volontairement sans descendance, témoin de son histoire, elle sait qu’il sera un « passeur » pour son fils. Rosa tient sa victoire et peut descendre de scène.
« Le cabaret des mémoires » est rythmé par un chant magnifique, « Le chant du soir » des Éclaireurs Israélites de France, résistants pendant la Seconde guerre mondiale, porteur d’espoir de jours meilleurs : « Quand demain reviendra la lumière » disent les paroles.
« Quand demain reviendra la lumière, nous serons une famille » reprend Samuel, sous la plume de Joachim Schnerf, lui-même un ancien des « E.I ». Dès lors, le jeune père s’investit d’une périlleuse mission, celle de transmettre.
Mais comment s’y prendre pour que la quatrième génération, privée des témoins directs, fasse sienne cette histoire qui aura un siècle quand elle-même n’aura que vingt ans ?
Car il s’agit de ne pas oublier, jamais.
Quand bien même il n’y aura plus aucun survivant, « Le cabaret des mémoires » illustre avec brio qu’il restera la fiction, la littérature, pour redonner vie à ce que l’on croyait disparu, pour reconstruire l’histoire à travers des histoires.