La petite Trash Lady d’un mètre 57, dans sa tenue irrévérencieuse et ses talons hauts, défoncée, n’arrivant plus à tenir debout, ferra un dernier concert en Roumanie en juin 2011, alors que ses fans la sifflent, déçus et mécontents. Elle n’est déjà plus là, s’asseyant par terre, dos au public, se levant, titubant, s’écroulant presque. Un mois après Belgrade, elle rendra l’âme, après 27 courtes années de vie sur terre.
Ce personnage étonnant, devenue star planétaire en deux disques, a absorbé l’amour de la musique de la maison familiale : Mitch Winehouse, son père, écoutait Sinatra, les jazzmen et les crooners de l’époque et déjà toute petite, il lui apprenait à finir les chansons qu’il fredonnait. Ce papa, qui, quand elle a neuf ans, quitte le foyer et abandonne femme et enfants, elle le cherchera désespérément à travers ses chansons et plus tard, à travers une vie éclatée.
Pourtant, tout commence bien pour Amy. Elle fréquente une grande école de musique et de spectacle à Londres, elle s’y fait remarquer, pour sa voix au timbre exceptionnel, qui rappelle les grandes chanteuses des années 50, comme Ella Fitzgerald et Nina Simon. Mais elle ne peut supporter longtemps les cadres étriqués de l’établissement, serait-ce celui de l’entertainment, qui a aussi des règles, une discipline et des examens, auxquels il faut se plier.
Son amie d’enfance la décrit comme un être excessivement généreux, mais désordonné, qui, à 3h du matin, pouvait soudain se mettre à ranger leur petit appartement et à cuisiner.
Great Britain is music, and music is Great Britain
Nos Sages de mémoire bénie explique qu’il existe un flux spirituel diffusant son ascendant sur chaque pays et le modelant de façon particulière. Ils appellent cette entité un “Sar”, en français “Ministre”.
L’Autorité céleste préposée à l’Angleterre a une guitare en main, c’est évident. Comment comprendre pourquoi cette terre constamment arrosée de pluie, enveloppée de brume et de fantômes, est si féconde en talents musicaux. Depuis la moitié du 20ème siècle, c’est
elle le fin mot de l’avant-garde musicale, avec les Beatles, bien sûr, mais aussi les Rolling Stones, les Pink Floyd, Genesis, et tant d’autres.
Comment expliquer, si ce n’est par ce Premier Ministre Spirituel qui, comme le disent nos Sages, influence d’en haut une nation, qu’un certain pays aime les arts et engendre des génies d’esthétisme, comme l’Italie, qu’un autre, enfermé dans ses montagnes, cultive argent, calme, sécurité et propreté et que le troisième, depuis des siècles, militant, bouillonnant, continue à descendre dans les rues pour exiger Liberté, Égalité, Fraternité. Et pourtant, c’est une réalité. Passez une frontière en voiture ou à pied et vous verrez comment soudainement les valeurs ambiantes, illustrées sur les murs par des graffitis, des panneaux publicitaires et des affiches électorales, vous happent dans une autre mentalité et d’autres valeurs, si différentes de celles que vous venez de quitter. Great Britain is music, and music is Great Britain.
Frank
Petite Amy a à peine 20 ans, quand elle sort un premier album, Frank, clin d’œil à son père, fan de Sinatra. Il se vendra à plus d’un million d’exemplaires : on y entend déjà les influences soul et jazz qu’elle affectionne et qui deviendront son label. Elle n’est alors pas tatouée, son look est fresh et elle a la vie devant elle. Pourtant, bien cachée, une douleur sourde l’habite. Il y a en elle une petite Amy blessée et en colère qu’on a abandonné, trompé et qui se transformera bientôt en démon tyrannique, pour imposer sa loi et crier sa détresse. Sa première victime, c’est d’abord elle-même et dans un jeu d’autodestruction, elle descendra un par un vers l’abîme des addictions. Black, le bad boy, qu’elle va finir par rencontrer et qui lui donnera sa première dose d’héroïne, sera à la fois sa source d’inspiration et le déclencheur, le trigger, de ce processus dément.
Moussa et l’enfant intérieur
Très loin de la petite banlieue nord de Londres, 30 plus tôt, un juif iranien de 20 ans quitte sa Perse natale, pour monter à Paris et faire des études de psychologie.
C’est l’époque du Shah et l’Iran est ouvert à l’Occident, géographiquement et culturellement. On n’en sait pas beaucoup plus sur Moussa Nabati, très discret sur sa vie privée. Il réussit brillamment ses études, devient professeur en psychologie, psychanalyste, travaille dans son cabinet et dans les hôpitaux, ainsi que dans un centre qu’il ouvre pour des personnes en addiction, spécialement à l’alcool.
Riche de milliers de cas clinique, qu’il a écouté, analysé, décortiqué, comme un scientifique devant son microscope confronté à des transformations moléculaires, il observe, que quelque chose se répète dans le scénarios des addicts, des déprimés, de tous ceux qui disent qu’ils souffrent d’un sentiment de vide et d’une impossibilité de vivre leur propre vie. Moussa en tirera sa théorie : celle du symptôme de la DPI, Dépression Infantile Précoce.
Si un jeune homme de 22 ans, n’arrive pas à émerger d’une déception amoureuse et qu’elle le fait sombrer dans une détresse suicidaire, alors qu’un autre, du même âge, avec les mêmes données, réussit, après un certain temps, à tourner la page et à remonter la pente, c’est que dans le premier cas, la rupture fait écho à un mal présent, mais invisible, qui se trouve d’après Moussa dans l’enfant intérieur qui est en lui. Petit, ce jeune homme inconsolable a dû subir un abandon, une carence affective et 20 ans après, ce chagrin d’amour présent vient résonner sur la dépression enfouie de l’enfant qu’il était.
Un sujet qui n’a pas été aimé pour lui, ou qui fut un enfant de remplacement, suite au décès d’un frère ou d’une sœur aînés, ou qui a subi une situation dans laquelle on lui aurait volé son identité, développe une dépression précoce qui ne s’exprimera que plus tard, lorsque la vie donnera un coup, là où la plaie est déjà existante.
Moussa Nabati explique très bien, que la recherche à l’« extérieur » de soi, de consommation abusive de nourriture, d’addictions à la drogue, à la cigarette, à des anxiolytiques, sont une fuite loin de cet enfant intérieur, de peur de le rencontrer, de le confronter. Pour l’oublier, le meilleur moyen est de chercher ailleurs comment se di-vertir, à savoir littéralement, tourner son attention vers autre chose. Mais plus on tente de le fuir, de rompre avec lui, plus, le petit tyran inassouvi, prend le contrôle et nous dirige, comme bon lui semble.
Au lieu d’utiliser ces addictions, qui ne sont que distractions, il faut revenir courageusement à cet enfant, nous, l’accepter, reconnaître sa douleur, pour pouvoir ensuite, le quitter en paix. On doit devenir son propre parent et, comme un père ou une mère adulte le ferait, rassurer et consoler sa progéniture. La dépression est en fait un symptôme, « une chance », une « lettre », qui nous parvient, pour pouvoir enfin partir à la recherche de cet enfant, délaissé trop longtemps.
Nabati a le grand avantage de venir d’une culture orientale et juive, apaisante et sereine. Si, intellectuellement, il comprend parfaitement les maux de l’Occident, qui ne connaissent comme recette de « bonheur » que des dérivés faciles, comme argent, vacances et volupté, essayant de combler le trou du néant existentiel, le vécu personnel de Moussa, prend racine dans la Torah et les textes Saints qu’il cite abondamment. Sa vision d’ailleurs, rejoint, sur plusieurs points, celle de la Hassidout. Les vendeurs de bonheurs « faites ça, faites ci, comportez vous comme ci ou comme ca » et vous serez heureux, ne tiennent pas la route. Parfois, ne rien faire, patienter, descendre en soi pour tendre la main au petit garçon ou à la petite fille que nous fûmes et accepter sa détresse, est le premier pas vers la guérison. Pas plus. Le verset « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », est le condensé parfait de la pensée et de la thérapie de Nabati.
Pour revenir à Amy, la diva de la soul music, petite juive londonienne d’une famille traditionaliste de la middle class anglaise, qui allait au Talmud Torah le dimanche en rechignant un peu et pour laquelle la définition du judaïsme était « être bien ensemble, en famille » portera jusqu’à sa dernière prestation, en médaillon à son cou, une étoile de David.
Prise dans les sables mouvants de la drogue et des cures de désintox, Amy ferra les délices de la première page du SUN et des canards anglais à bon marché.
Mais l’histoire d’Amy Winehouse, icône astrale, qui s’éteindra bien avant l’heure, fait également écho à notre immense responsabilité en tant que parents. Tous nos comportements, nos actes et nos décisions, doivent être pesés, soupesés et repensés quant à l’onde de choc qu’ils peuvent provoquer chez nos enfants.
Les excès, la provocation, l’insolence, le look indécent qu’elle avait adopté à la fin de sa vie, cachait, ce que Moussa Nabati appelle une enfant rebelle, qui se débattait et qui n’avait de cesse de taper du pied, de crier sa colère devant un abandon trop injuste, pour une petite fille sensible, talentueuse et tellement douée.
Si Amy avait pu revenir à elle, elle serait peut-être encore là…