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Limerick, Irlande : histoire d’une communauté juive disparue

L’histoire des Juifs d’Irlande est sans doute l’une des moins documentées du continent européen. Si sa communauté n’a jamais excédé les 8000 personnes, la mémoire collective garde localement le souvenir d’une population bien intégrée.
La communauté juive disparue de Limerick en Irlande

C’est l’histoire de Limerick, Irlande. L’histoire d’une communauté juive disparue.

La vie des Juifs d’Irlande est sans doute l’une des moins documentées du continent européen.

Si sa communauté n’a jamais excédé les 8000 personnes, la mémoire collective garde localement le souvenir d’une population bien intégrée.

Leopold Bloom est l’archétype du juif irlandais. Conscient de son héritage, mais soucieux de s’intégrer à la population environnante, l’antihéros du roman Ulysse de James Joyce (1922) est mis à l’honneur, chaque année, à l’occasion du « Bloomsday », une fête irlandaise très suivie.

Comme pour signifier que, malgré leur discrétion, les Juifs d’Irlande ont durablement marqué les esprits.

Une présence pérenne, mais discrète 

La première preuve tangible d’une présence juive en Irlande remonte au milieu du Moyen Âge, selon les Annales d’Innisfallen, qui font état de l’arrivée en 1079 de cinq juifs chargés de cadeaux auprès du roi du Munster, dans l’est de l’île.

L’expulsion de leurs descendants en 1290, concomitante à celle de leurs coreligionnaires des autres territoires britanniques, sonne la fin d’une présence juive.

Ce n’est qu’au milieu du XVIIe siècle, à l’invitation d’Oliver Cromwell, que des juifs en provenance de la péninsule Ibérique recréent une communauté en Irlande.

Leur nombre restera néanmoins anecdotique au siècle suivant, si l’on en croit les archives de 1818, qui parlent de neuf juifs à Dublin.

Un chiffre néanmoins appelé à grossir rapidement, avec la venue massive d’artisans en provenance d’Europe de l’Est, notamment de Lituanie.

Parmi eux, des joailliers, des orfèvres et des horlogers.

Un certain nombre ne font que transiter, espérant gagner l’Amérique.

Ceux qui restent, faute de pouvoir embarquer à bord d’un des nombreux transatlantiques à destination du Nouveau Monde, viennent grossir les rangs de la communauté de Dublin, portant le nombre de juifs en Irlande à 5148 lors du recensement de 1911.

Bientôt trois autres communautés apparaissent: une à Belfast[1]La famille de l’actuel président d’Israël, Isaac Herzog, entretient un lien étroit avec l’Irlande. Émigré de Pologne en Angleterre en 1898, le grand père d’Isaac Herzog, Yitzhak Halévi … Continue reading, aujourd’hui en Irlande du Nord, une autre à Cork, au sud et une troisième à Limerick, à l’ouest, où élisent domicile des juifs lituaniens originaires de Kovno, aujourd’hui  Kaunas.

Mais l’arrivée de cette masse de pauvres hères n’est pas sans susciter des oppositions.

Si les attaques aux biens restent rares, les discours haineux se multiplient, par voie d’affiche et d’articles.

Cela déboucha sur le seul pogrom jamais enregistré dans l’histoire de l’Irlande. Retour sur un événement qui marqua les mémoires.

Le pogrom de Limerick

Le 12 janvier 1904, les Juifs de Limerick, réunis en communauté officielle depuis 1881, sont attaqués par une foule en furie, après le sermon prononcé la veille par le Père Creagh, un prêtre de l’Ordre des Rédemptoristes, qui accuse les « descendants de Judas » de se livrer à des meurtres rituels, de blasphémer contre Jésus et de voler les habitants de Limerick.

En sus de l’attaque de leurs biens, les juifs de la ville sont soumis, dans les mois qui suivent, à un violent boycott de leurs magasins, poussant un certain nombre d’entre eux à quitter la région pour Dublin, l’Angleterre ou les Etats-Unis.

Aujourd’hui, la Wolfe Tone Street, anciennement connue sous le nom de Colooney Street, la rue juive de Limerick au début du XXe siècle, garde la mémoire discrète de cette population.

Si aucune plaque n’a été apposée, les riverains, interrogés lors d’un reportage à l’été 2022, se souviennent sans mal de la maison qui abrita jadis la principale synagogue locale.

Vendue en 1953 après un ultime office religieux six ans plus tôt, la bâtisse est aujourd’hui habitée par un vieil homme célibataire, intarissable sur l’histoire de son quartier.

Autre lieu emblématique, le discret cimetière juif de Limerick, installé dans un faubourg, et ouvert comme jardin public depuis quelques années.

S’y trouvent encore douze sépultures, dont deux portent la mention « Âme juive inconnue, enterrée par le conseil de Limerick ».

Des Irlandais patriotes et sionistes 

Malgré une forte baisse de leur nombre après 1948, les Juifs d’Irlande, aujourd’hui autour de 2500, peuvent se targuer d’avoir joué un rôle notable dans la politique du pays au XXe siècle.

Le plus célèbre d’entre eux n’est autre que le parlementaire républicain Robert Emmet Briscoe (1894-1969), député à la chambre basse irlandaise pendant quatre décennies et élu lord-maire de Dublin par deux fois.

Né dans une famille juive d’origine lituanienne, il a servi dans l’Armée Républicaine Irlandaise – l’IRA – et a milité au sein du Sinn Féin pendant la guerre d’indépendance irlandaise (1919-1921).

Admirateur de Zeev Jabotinsky et soutien inconditionnel de la cause sioniste, Robert Briscoe a également participé à la collecte de fonds pour «l’Irgoun» aux Etats-Unis dans les années 1940.

Il a aussi milité pour que l’Irlande, déclarée neutre, apporte un soutien aux réfugiés juifs allemands à la veille de la Shoah.

Surveillé par les services secrets de son pays, il justifia son aide à la cause juive, en Palestine mandataire, comme un corollaire de son action patriote en Irlande, prétextant, dans l’un et l’autre cas, que l’objectif était de nuire aux intérêts de l’Angleterre.

Enfin, son rôle fut déterminant dans la transformation de «l’Irgoun»  groupe paramilitaire en un mouvement parlementaire ; devenu le « Herout », futur Likoud.

La vie juive en Irlande aujourd’hui

Quelque 2500 juifs vivent aujourd’hui en Irlande. La majorité résident dans la capitale, Dublin, où fonctionnaient, jusqu’à récemment encore, plusieurs congrégations religieuses de différentes tendances.

La synagogue de Cork, dans le sud de l’île, a quant à elle, faute de fidèles, dû fermer ses portes en 2016, après cent-trente-cinq ans de fonctionnement.

En Irlande du Nord, seule la communauté de Belfast continue d’accueillir des événements.

Mais, à l’inverse de la République d’Irlande, où les manifestations d’antisémitisme sont rares, la capitale de l’Ulster a vu, ces dernières années, plusieurs profanations de lieux juifs, venues assombrir les espoirs de rester pour les fidèles désormais sans rabbin.

Références

Références
1La famille de l’actuel président d’Israël, Isaac Herzog, entretient un lien étroit avec l’Irlande.

Émigré de Pologne en Angleterre en 1898, le grand père d’Isaac Herzog, Yitzhak Halévi Herzog (1888-1959), fut nommé rabbin de Belfast (1916-1919), puis de Dublin (1919-1922), avant d’occuper les fonctions de grand rabbin de l’Etat libre d’Irlande de 1921 à 1936.

Il devait, après cette date, faire son « alyah » et devenir le premier grand rabbin de Palestine mandataire, puis de l’Etat d’Israël après 1948.

Son fils, Haïm Herzog, né à Belfast en 1918, fut élu 6e président d’Israël (1983-1993), un rôle qui devait également échoir à son fils deux décennies plus tard, en 2021.

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