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Comment négocier la libération d’otages selon la loi juive ?

Au petit matin de Simhat Torah 2023, débute un des jours les plus difficiles de l’histoire d'Israël. Avec une barbarie indicible, des centaines de terroristes du Hamas attaquent les villages frontaliers de la bande de Gaza, massacrent, violent et mutilent des milliers de victimes juives. Plusieurs centaines d’otages, civils comme militaires, hommes, femmes et enfants, sont enlevés dans la Bande de Gaza.
Les lois concernant les otages dans la Torah

La mitsva de Pidyon Chvouyim ou le rachat des prisonniers est une mitsva essentielle du judaïsme. Notre histoire est jalonnée d’innombrables cas de prisonniers juifs, parfois rachetés comme dans la Rome Antique ou lors de l’affaire Guilad Schalit, ou libérés comme lors des détournements d’avion de Dawson Field en 1970 ou Entebbe en 1976.

 

Les décideurs  firent souvent appel aux maîtres juifs pour connaître la position de la halakha, comme Yitzhak Rabin lors du raid sur Entebbe, ou Ehoud Olmert lors de la libération de Guilad Schalit.

Vu la complexité de la question et les charges affectives intenses mises en jeu, seuls les plus grands maîtres sont aptes à donner la vision de la halakha, qui varie selon les cas.

Cependant, nous pouvons, à notre niveau, approfondir les sources disponibles et réfléchir au débat : pour ramener ces innocents à la maison, est-il envisageable et conseillé de libérer des terroristes, parfois en grand nombre et ayant du sang juif sur les mains, en sachant pertinemment qu’ils retourneront à leurs activités criminelles dès leurs menottes retirées ?

 

La mitsva du rachat des prisonniers est définie par le Talmud [1]Talmud de Babylone, Traité Baba Batra 8b comme « Mitsva Rabba », une mitsva capitale. En effet, la situation d’un otage est, en quelque sorte, pire que la mort. Il peut à chaque instant être exécuté, ou abandonné et mourir de faim. C’est pourquoi le Choulkhan Aroukh tranche qu’il faut racheter les prisonniers au plus vite, même si pour cela, il faut vendre une synagogue, voire un Sefer Torah. Celui qui retarde la réalisation de cette mitsva est considéré comme s’il avait versé le sang du prisonnier [2]Choulkhan Aroukh, Yore Dea, 252 3.

 

Pourtant, dans le Traité de Guitin [3]Talmud de Babylone, Traité Guitin 45a, le Talmud établit une limite à cette injonction : le prix de rachat ne peut excéder la valeur standard du prisonnier pour préserver le Tikoun Olam, la réparation du monde.

Deux explications sont proposées à cette limite :

1) Le risque de voir la communauté s’appauvrir si les sommes sont trop élevées.

2) Le risque de lancer une dynamique dangereuse. Si les ravisseurs voient qu’il n’y a pas de limites aux rançons demandables, ceci suscitera une augmentation exponentielle des cas de rapt.

 

On peut illustrer la différence entre ces deux réponses par le cas d’un donateur privé qui serait prêt à payer un prix extravagant pour libérer l’otage. Ceci ne portant pas atteinte aux fonds de la communauté, le premier argument le permettrait. Par contre, le second l’interdit, car ce précédent ouvre une boîte de Pandore.

Cette valeur limite est le prix que des ravisseurs ont coutume de demander pour un prisonnier non juif. Cette mesure permet d’éviter de faire de la communauté juive une cible privilégiée de ces agissements criminels.

En pratique, le Choulhan Aroukh tranche selon le dernier argument [4]Choulkhan Aroukh, Yore Dea, 252 4 : on ne rachète pas les prisonniers à un prix exorbitant parce que cela encourage les enlèvements.

C’est sur cet argument que se basera le Maharam de Rottenburg, lorsqu’il fut enfermé par l’Empereur Rodolphe 1ᵉʳ de Habsbourg dans la forteresse d’Ensisheim en 1286. La rançon abusive de 23.000 marks d’argent fut rassemblée par la communauté, mais le maître refusa d’être racheté et mourut en prison en 1293, pour éviter que ces chantages se reproduisent.

 

Il existe pourtant des exceptions à cette règle.

Tout d’abord, chacun peut se racheter lui-même ainsi que sa femme et ses enfants, et ce, sans limites de prix.

Ensuite, le Talmud [5]Talmud de Babylone, Traité Guitin 58a raconte l’histoire de Rabbi Yehochoua ben Hanania qui fut informé qu’un enfant très particulier était prisonnier dans les geôles romaines. Cet enfant, très beau, est d’une sagesse exceptionnelle. Rabbi Yehochoua va le racheter particulièrement cher, lui enseignera la Torah et en fera un des maîtres du Talmud : Rabbi Ichmael ben Elicha, ami et contradicteur de Rabbi Akiva.

Les Tossafistes font sortir de ce texte d’autres exceptions :

  • Une personnalité vitale pour le Peuple juif, tel qu’un futur guide du peuple, par sa sagesse exceptionnelle, même s’il est encore à l’état de potentiel, permet une haute rançon. Sa sagesse est vitale pour le peuple d’Israël et étant particulièrement rare, il n’y a pas lieu de craindre que l’événement se reproduise.
  • Lorsque l’otage est en danger de mort, les limites précédentes ne s’appliquent plus et s’effacent devant la valeur de la vie humaine.

 

Certains auteurs, dont Nahmanide [6]Hidouchei Haramban Guitin 45a, discutent avec la seconde permission. En effet, comme nous l’avons expliqué en début de nos propos, la définition même d’un otage ou d’un prisonnier est le danger de mort. Comment serait-elle une exception ? De plus, si les ravisseurs savent que le danger de mort permet d’augmenter les rançons, ils y auront automatiquement recours, ce qui mettra en danger tous les futurs otages…

Pourtant, les décisionnaires trancheront cette permission en cas de danger de mort. Parmi eux, le Rav Chlomo Louria[7]Yam chel Chlomo Guittin chap. 66 en Pologne ou le Rav Yaakov de Castro en Égypte, ou plus récemment le Rav Ovadia Yossef [8]Yabia Omer tome 10 Hochen Michpat 6, publié plus tôt dans Massa Ovadya et le Rav Haim Kaniewski [9]Derekh Emouna sur Hilkhot Matnot Aniim 8, 77.

 

La réalité moderne d’une guerre asymétrique entre l’État d’Israël et des groupes terroristes a entraîné une reformulation de cette ancienne question. Lorsque la rançon demandée n’est plus une somme d’argent, mais la libération de terroristes qui, très probablement, reviendront à leurs activités criminelles, la réponse reste-t-elle toujours valable ? Peut-on faire passer la vie d’un ou plusieurs otages avant la sécurité de toute la société, voire la vie des futures victimes ?

 

En 1976, le vol Air France 139 à destination de Paris est détourné par quatre terroristes du FPLP et deux allemands vers Benghazi en Libye, puis Entebbe en Ouganda. Les Palestiniens demandent la libération de 53 terroristes pro-palestiniens détenus à travers le monde, en échange des 106 otages juifs et hommes d’équipage. Yitzhak Rabin demandera alors à un conseil rabbinique, comptant le Rav Ovadia Yossef, l’avis de la Loi juive sur cette libération.

L’argument central évoqué est le danger immédiat et évident pesant sur la tête des otages face à un danger plus lointain et hypothétique pesant sur d’autres juifs.

En effet, même s’il est  certain que le terroriste va tenter de nouveaux attentats, il arrive souvent que ses tentatives soient déjouées par les forces de sécurité grâce à la protection du D.ieu protecteur d’Israël. Dans ce cas, le danger incontestable pèse logiquement plus lourd et on fera le nécessaire pour libérer les otages.

 

On pourrait remettre en question cet argument lorsque le nombre de terroristes devient tellement important que statistiquement, il est inévitable qu’il y ait de nouvelles victimes.

Un second argument est basé sur un texte de la Tossefta [10]Tossefta Teroumot 7,23 : Si des ennemis menacent un groupe de juifs ainsi : « Soit vous nous livrez l’un d’entre vous, soit nous vous exécuterons tous ». Le groupe tout entier devra se laisser tuer plutôt que de livrer l’un de ses membres à la mort. On pourrait donc entendre ici que les otages doivent se laisser tuer plutôt que de mettre en danger d’autres juifs.

Le Rav Ovadia Yossef [11] Lettre datée du 4 Tamouz 5768 titrée: “ Au sujet des otages qu’on ne rachète pas plus que leur prix” réfute l’argument en ramenant le cas suivant – légèrement réactualisé – : Un missile se dirige vers une haute tour d’habitation comptant des centaines d’habitants. La seule option disponible est de dévier la roquette vers une maison habituelle ou vit une seule famille. Ne rien faire entraîne la mort de centaines d’innocents supplémentaires par la main exclusive des terroristes, mais intervenir signifie prendre une part active dans la mort de cette unique famille.

La réponse est que la déviation n’est pas un acte de meurtre, mais un acte protecteur, un acte de salvation qu’on ne peut me reprocher et qui sera donc préférable.

 

Dans le cas des otages, livrer un homme à la mort est un crime, et par conséquent, on ne livrera pas un juif pour en sauver d’autres.  Par contre, libérer des assassins pour sauver les otages est un acte de salvation qui sera donc ainsi préférable. En pratique, le conseil rabbinique a tranché pour sauver les otages, même au prix de la libération de terroristes.

 

À ce moment-là, entra le Premier Ministre Itshak Rabin et annonça le succès de l’opération Thunderbolt, (depuis renommée opération Yonathan, du nom de Yonathan Netanyahou dirigeant le commando et seule victime militaire israélienne de l’attaque) et la libération des otages par la Sayeret Matkal avec une audace incroyable.

Cette même position sera renouvelée par le Rav Shekhter13 ainsi que le Rav Ovadia Yossef lors de la libération en 2011 du soldat Gilad Shalit contre 1023 terroristes dont beaucoup avaient du sang juif sur les mains. Tous retourneront à leurs activités meurtrières. Certains comme Yehia Sinwar sont même parmi les dirigeants du Hamas d’aujourd’hui.

 

Cette position peut encore être renforcée lorsqu’il s’agit d’un soldat. En effet, comme l’écrit le Rav Meir Goldwicht [12] Kovets “Or Hamizrah” Tome 40 p. 212 , un soldat accepte de mettre sa vie en danger en allant au front, mais il sait aussi que tout le pays est derrière lui et fera le maximum pour le libérer s’il est fait prisonnier. Tsahal ne laisse jamais un blessé sur le champ de bataille et c’est ce qui fait sa force.  Remettre en cause ce postulat pourrait fragiliser la motivation des combattants. On se rappellera que la révélation de la Procédure secrète Hannibal, qui devait permettre l’usage de tous les moyens pour empêcher toute prise en otage de soldats, parfois même au prix de la santé de l’otage, a secoué l’opinion jusqu’à sa modification en 2017.

Cependant, de nombreux autres Rabbanim dont le Rav Chmouel Eliahou, le Rav Dov Lior ainsi que le Rav Yaakov Yossef (fils du rav Ovadia Yossef!) s’étaient opposés à l’échange dans ces conditions.

 

Pour résumer notre exposé, nous pouvons conclure que le rachat des prisonniers, malgré son importance, peut être limité. Cependant, lorsque l’otage est en danger de mort, la communauté peut décider de le racheter sans limite de prix.

Lorsque sont exigées des libérations d’assassins qui nous mettent en danger, la conclusion est discutée et dépend beaucoup des circonstances.  Toutefois, au niveau halakhique, cette libération reste possible et justifiable.

Ayant un peu plus approfondi le sujet, nous en percevons la complexité ainsi que le poids de la responsabilité du décisionnaire et du décideur.

D’autre part, rappelons-nous qu’aux yeux de D.ieu, l’étude d’une mitsva donne un mérite équivalent à sa réalisation. Je ne peux donc que prier avec vous de tout mon cœur pour que l’étude de ce sujet participe à la protection du Peuple d’Israël et nous dispense d’avoir à l’appliquer en pratique, grâce au retour en bonne santé de tous les otages au plus vite.

 

 

 

Références

Références
1Talmud de Babylone, Traité Baba Batra 8b
2Choulkhan Aroukh, Yore Dea, 252 3
3Talmud de Babylone, Traité Guitin 45a
4Choulkhan Aroukh, Yore Dea, 252 4
5Talmud de Babylone, Traité Guitin 58a
6Hidouchei Haramban Guitin 45a
7Yam chel Chlomo Guittin chap. 66
8Yabia Omer tome 10 Hochen Michpat 6, publié plus tôt dans Massa Ovadya
9Derekh Emouna sur Hilkhot Matnot Aniim 8, 77
10Tossefta Teroumot 7,23
11 Lettre datée du 4 Tamouz 5768 titrée: “ Au sujet des otages qu’on ne rachète pas plus que leur prix”
12 Kovets “Or Hamizrah” Tome 40 p. 212

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