Des planches à la Shoah
Né en 1926, Jerry Lewis démarre sa carrière dès l’âge de cinq ans. Sa rencontre décisive en 1945 avec Dean Martin donne naissance à l’un des duos comiques les plus populaires d’Amérique : onze ans de spectacles, quinze émissions télé, quatorze films et une manière inédite de briser le quatrième mur. Séparé de Martin en 1956, Lewis enchaîne les succès – d’acteur le mieux payé d’Hollywood à présentateur des Oscars en 1956, ’57 et ’59 – tout en amorçant une transition vers la réalisation.
Le projet maudit : genèse et ambitions
En 1971, le producteur français Nat Wachsberger confie à Lewis l’adaptation d’un roman sur l’Holocauste, avec pour lui le rôle-titre et le poste de metteur en scène. Habitué à l’excès comique, Lewis se lance dans un défi inédit : mêler pantomime et tragédie. Il incarne Helmut Durk, clown berlinois déporté pour avoir ridiculisé Hitler, contraint de divertir des enfants dans un camp de concentration avant de partager leur ultime destin. Pour nourrir son interprétation, il visite Auschwitz et Dachau, affirmant son identité juive et interrogeant la place du rire face à l’horreur.
Une production chaotique et un film jamais diffusé
Le tournage s’achève en 1972, mais la production se heurte à un imbroglio juridique : les droits du livre n’avaient pas été achetés, Wachsberger fait défaut sur les financements, et un procès s’engage. Jerry Lewis parvient malgré tout à boucler un montage sommaire, dont la seule copie est dissimulée sur une cassette. À l’aube d’un renouveau de carrière, l’artiste traverse une décennie blanche : il ne tournera plus pendant sept ans.
Donation, embargo et limbes juridiques
- En août 2015, Lewis offre cette unique copie à la Bibliothèque du Congrès des États-Unis, à la condition formelle qu’elle reste invisible pendant dix ans. L’interdiction expire officiellement le 5 août 2025, ouvrant la porte à toute projection publique. Mais les ayants droit du scénario, la succession de Wachsberger et les questions de qualité supposée du film maintiennent la pellicule en déshérence dans un coffre-fort.
Nouveaux espoirs et statu quo en 2025
- Archives révélées : fin août 2024, la Library of Congress a ouvert l’accès aux rushes et à plusieurs fragments inédits, relançant espoirs et débats.
- Workprint suédois : en mai 2025, un workprint complet a fait surface en Suède, sans validation officielle ni perspective de sortie.
- Documentaire : From Darkness to Light (2024) a restitué des extraits mis au jour, attisant la curiosité des cinéphiles.
Pourtant, à ce jour, aucune projection ni distribution n’a encore été annoncée. Les négociations juridiques patinent, et la prudence des héritiers de Lewis semble destinée à préserver ce « chef-d’œuvre maudit » d’un accueil critique catastrophique autant que d’une exploitation commerciale douteuse.