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Étranges Samaritains

Ce jour est veille de Pessa'h, selon le calendrier samaritain. À Chekhem/Naplouse, ils sont plusieurs centaines à gravir lentement, sur un chemin escarpé, les pentes du Mont Guerizim. De nombreux touristes les accompagnent chaque année, avides de sensations fortes.
Étranges Samaritains

Il est vrai que cette procession est impressionnante et pittoresque : vêtus de longues tuniques blanches, certains respectant encore la coutume de faire ce pèlerinage pieds nus, psalmodiant en hébreu et en araméen des chants et prières sous la férule vigilante de prêtres et anciens aux nobles visages, un petit peuple comptant moins de mille individus se rend au sommet de ce site pour eux sacré, afin d’y accomplir comme aux temps bibliques le sacrifice d’agneaux, et célébrer joyeusement sous des tentes la fête de Pessa’h. En 1867, l’officier britannique Charles Warren en dressait le tableau suivant :

 » …Ils n’ont pas l’air libre des Juifs, que ceux-ci soient sépharades ou achkenazes…Lorsque le soleil commença à baisser, ils hâtèrent le pas et changèrent de ton, me rappelant les hurlements d’une meute de chiens. Leur prière, me dit-on, évoquait les plaies d’Égypte, et ils s’excitaient peu à peu, au point d’entrer en transe, tandis que leur prêtre, se servant d’un antique exemplaire du Pentateuque, continuait la récitation. Une fois arrivés au sommet, ils attendirent le coucher du soleil pour commencer les préparatifs de la fête. Ils avaient amené sept moutons : au signal donné par le prêtre, ils les égorgèrent en quelques brèves secondes… Sous la lune voilée, à la lumière des torches, la scène était digne du pinceau de Rembrandt. »

Qui sont donc ces étranges Samaritains, à la fois si proches et si lointains des Juifs ?

Une sacrée histoire, pour un mont sacré

Connus comme Samaritains, c’est-à-dire habitants de la ville biblique de Samarie (à proximité de Chekhem/Naplouse) et de la région du même nom, ils se nomment eux-mêmes les Chomerim, c’est-à-dire les gardiens, jouant sur la proximité de ce mot avec le nom de Chomron, Samarie en hébreu. En Israël, on les désigne logiquement sous le nom de Chomronim. Le Talmud, pour sa part, leur consacre beaucoup d’attention, et même un petit traité, sous le nom de Massékheth Koutim ou Cuthéens en Français.

C’est qu’on ne sait pas très bien sur quel pied danser avec eux. Tout commence en 422 avant l’ère actuelle, avec la chute de Jérusalem et la destruction du premier Temple : les Babyloniens déportent les Juifs en Babylonie, pour un exil qui durera soixante-dix ans. Selon la coutume de l’époque, et afin de mieux dissuader toute velléité de révolte, les vainqueurs installent sur la Terre d’Israël un autre peuple récemment vaincu, les Koutim ou Cuthéens. Ceux-ci, effrayés par les meutes de bêtes sauvages qui les assaillent, craignent d’avoir mécontenté les divinités locales et réclament du roi qu’on leur envoie des Juifs, afin qu’ils adoptent, sous leur férule, les croyances et coutumes des premiers et légitimes habitants du pays. Ce qui fut fait, et les voici désormais convertis au judaïsme dont, aux dires mêmes des Sages du Talmud, ils vont respecter nombre de commandements avec un zèle extrême, de quoi en remontrer aux Juifs. Mais quelle confiance accorder à cette conversion « intéressée », puisque motivée par une croyance païenne attribuant à la colère de divinités indigènes les ravages commis par les bêtes sauvages ? Vient le retour des Juifs depuis la lointaine Babylonie, sous la direction de Zéroubavel, descendant du roi David, et des grands maîtres qu’étaient Ezra et Néhémie. Alors que ceux-ci entreprennent la reconstruction de Jérusalem et du Temple, les Koutim veulent se joindre à eux. Méfiants à leur égard, craignant la subsistance chez eux de croyances païennes, et peut-être pour leur imposer une sorte de mise à l’épreuve, les Sages les repoussent pourtant fermement. Un fossé a ainsi commencé à se creuser, qui va se perpétuer jusqu’à nos jours.

Victimes du « mensonge juif »

Les Koutim ou Samaritains vont alors développer un narratif hostile aux Juifs, et des pratiques déviantes par rapport aux fondements du judaïsme et aux développements historiques qu’il a connus.

Se sont-ils mêlés à quelques rescapés des dix tribus du royaume d’Israël, déportées par les Assyriens vers l’Orient bien avant la déportation des Judéens en Babylonie ? Les Samaritains se présentent en tout cas, désormais, comme les seuls et authentiques descendants des tribus d’Ephraïm et de Menaché ; ils rejettent la Tora ché-be-‘al-pé, ou tradition orale des Sages ; ils ne se réfèrent donc qu’à la Tora ché-bi-khtav, ou Tora écrite, dans un texte qui ne compte d’ailleurs pas moins de six mille variantes différentes du texte « massorétique » connu dans toutes les communautés juives, sépharades ou achkenazes ; ce texte est par ailleurs écrit dans la seule écriture qui leur était connue, celle appelée ktav ivri, ou « écriture hébraïque », dédiée traditionnellement aux usages profanes, contrairement au ktav achouri, réservé aux textes sacrés ; ce qui confère une extrême rigidité à leurs croyances et coutumes, comme par exemple l’interdiction de garder un feu ou toute sorte de source de chaleur durant le Chabbath, ou l’obligation pour les enfants de jeûner à Kippour,  dès l’âge d’un an ;  surtout, ils refusent de reconnaître Jérusalem comme lieu du mont Moria ou mont du Temple et, plus grave encore,  dénoncent là un mensonge délibéré des Juifs qui auraient falsifié la Tora : le vrai mont Moria est selon eux le mont Guerizim de Chkhem /Naplouse, c’est là que Yehochoua/Josué aurait établi le Michkan ou sanctuaire ; et c’est là qu’ils finiront par construire un temple (détruit à l’époque des ‘Hachmonayim/Macchabées), après que le grand-prêtre ‘Eli ait  perfidement transféré le Michkan à Chilo ; le culte à rendre sur le mont Guerizim fait du reste partie pour eux …des dix commandements ! Cette première et historique accusation de falsification de multiples passages de la Tora par les Sages juifs eut, hélas, une suite et un succès déconcertants dans les mondes chrétiens et musulmans.

Ce bref aperçu des croyances principales des Samaritains permet de comprendre la longue hésitation des Sages quant au statut à leur accorder ; et le long antagonisme qui les opposera aux Juifs, leur plus intime et plus extrême ennemi : alors qu’ils connurent des époques florissantes d’expansion (on estime qu’ils furent plus d’un million au début de l’ère actuelle), fondant à partir de la Samarie des communautés en Égypte comme en divers centres du Proche-Orient, ils ne cessèrent de se joindre aux ennemis des Juifs, sauf sans doute lors de la grande révolte contre les Romains ; prompts à se présenter comme les seuls authentiques descendants des tribus d’Israël, ils n’hésitèrent pas non plus, à l’inverse,  durant les périodes de persécutions antijuives qui les menaçaient eux aussi, à revendiquer leur origine orientale, distincte de celle des Juifs ; ce qui n’empêchera pas le grand-rabbin de Jérusalem, Rabbi ‘Haïm Avraham Gagin, de s’empresser d’intervenir en 1842 en leur faveur. Les autorités musulmanes de Chkhem voulaient, en effet, leur refuser désormais le statut de membres des « peuples du Livre » et les soumettre à une conversion forcée à l’islam, sous menace de mort. Le grand-rabbin, pris de compassion pour leur sort, exhorta les chefs musulmans de n’en rien faire, présentant les Samaritains comme une branche du peuple d’Israël.

Soumis à de telles persécutions et conversions forcées _ tant de la part des autorités musulmanes qu’avant eux de la part des chrétiens _ refusant en outre d’accepter des convertis, les Samaritains virent leur nombre diminuer de façon drastique au cours des derniers siècles : ils n’étaient plus qu’une centaine au début du XXe siècle, contraints souvent à des mariages consanguins et à leurs funestes conséquences.

Les Samaritains de nos jours en Israël

On pouvait alors croire que les Samaritains n’étaient plus que le reste pathétique d’un peuple en voie de disparition. Mais leur population n’a cessé d’augmenter tout au long du dernier siècle : peut-être encouragés par l’intérêt et le soutien de  nombre de nouveaux immigrants des diverses ‘aliyoth sionistes intrigués et fascinés par ces survivants des temps bibliques (notamment le deuxième président de l’État d’Israël, Yits’hak Ben Tsvi, qui les fit bénéficier, contrairement à l’avis du grand-rabbinat,  des droits liés à la Loi du Retour) ; peut-être aussi grâce au « sang neuf » apporté par quelques femmes juives désormais prêtes à se marier avec des membres de leur communauté ; sans doute aussi avec l’autorisation proclamée par le grand-prêtre samaritain de convertir des femmes étrangères, généralement ukrainiennes, aux fins de mariage ; le fait est qu’ils comptent actuellement    près de neuf cent membres, répartis en cinq grandes familles (Cohen, Tsedaka…) dans les deux centres que sont leur quartier dans la ville de Chekhem et un second dans la ville israélienne de ‘Holon. En 1894, le Samaritain Avraham Tsedaka avait quitté Chekhem pour s’installer à Yaffo/Jaffa et, en 1951, le président Ben Tsvi avait fait construire un quartier à ‘Holon pour ses descendants, dont la communauté comprend actuellement quelques trois cent membres, citoyens israéliens de plein droit. Et qui ont accueilli avec enthousiasme la possibilité, après 1967, de pouvoir librement retrouver leurs frères du mont Guerizim. Ces derniers, qui bénéficient de la double nationalité israélienne et palestinienne, ont après la première Intifada quitté leur ancien quartier pour s’installer dans le village de Kiryath Louza, sur le mont Guerizim, aménagé pour eux par les Israéliens dans un souci sécuritaire. Ils tiennent à maintenir, en façade à tout le moins, une stricte neutralité sur la situation politique. Voici, en conclusion, ce que l’historien Léon Poliakov a pu écrire à leur sujet :

 » La doctrine des Samaritains est pratiquement figée, et nous avons vu que le souci de sa sauvegarde les conduit à retrancher de leur communauté les membres qui contreviennent tant soit peu à leurs traditions. Peut-être ne subsistent-ils qu’à ce prix, et on peut espérer qu’ils y parviendront. D’autant qu’ils pourraient apprendre encore quelque chose à notre monde, tel qu’il est. On peut même dire que d’une certaine façon ils sont devenus, mais à l’envers, « un peuple témoin », dans la mesure où ils attestent, par leur seule présence, que la survie des Juifs, aussi étonnante, voire menaçante, qu’elle est aux yeux de beaucoup, n’a rien d’unique ou de surnaturel, puisque, pour la meilleure part, elle est due à l’incomparable outil intellectuel qu’est la pensée talmudique. »

On pourra bien sûr contester ce que Poliakov écrit sur le caractère ni « unique » ni « surnaturel » de la survie des Juifs, mais sa remarque sur la force de la pensée talmudique mérite d’être relevée, dans ce tableau de la situation des Samaritains. Et quoiqu’il en soit, malgré toutes les vicissitudes de l’Histoire, cette année comme de tout temps, les Samaritains graviront solennellement le mont Guerizim pour y sacrifier une cinquantaine de moutons ; et ainsi fêter Pessa’h, en consommant leur chair avec des matsoth de leur confection et du maror, plante amère endémique, cueillie sur les flancs du mont sacré. Sous la vigilante protection, évidemment, des soldats de l’armée israélienne, ces descendants douteux des Juifs de l’Antiquité, qui repoussèrent leurs vénérables ancêtres ; et dans l’attente du Taheb, ce messie qu’ils appellent de leurs vœux pour les rétablir dans leur gloire passée…

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