Un lieu paisible où le corps peut s’abandonner au sommeil, où le couple peut s’isoler et faire des bébés : voilà la définition d’une chambre à coucher. Mais pour le peuple juif, cet espace clos et protégé prend une dimension supplémentaire. Il est le lieu d’une alchimie particulière, celle de la fabrique des âmes et de l’éveil de l’âme divine durant le sommeil des corps. La chambre est en fait une antichambre aux mondes invisibles qui peuplent la très ancienne sagesse juive.
Quand on est endormi, l’âme quitte le corps, s’envole vers les hautes sphères et tente de retrouver sa « source » pour se réjouir de la Présence divine. Celui qui parvient à cette heure de la nuit en état de pureté[1]« L’impur » n’est pas le « sale » mais le contact avec la mort, réelle ou symbolique traversera sans encombre les klipot. Ces enveloppes négatives qui entourent les mondes divins risqueraient de limiter l’ascension de l’âme d’origine divine. C’est pour nous y aider qu’une prière spécifique a été instituée, la prière du coucher accompagnée du Chema Israël – celui qui dort est en effet considéré « comme un mort ».
De celui qui, « impur », ne peut y parvenir, les Sages disent qu’il erre toute la nuit entre les « écorces ». Ainsi le voyage peut être difficile, voire périlleux et bien des choses peuvent se produire quand l’âme chemine hors de son corps – mauvaises rencontres, combats dont les traces persistantes habitent nos cauchemars au matin et même un léger décalage, un défaut d’ajustement quand l’âme réintègre brutalement son corps ou pire… lorsqu’elle subit une usurpation d’identité !
Nos Maîtres appellent ainsi Chambre des Échanges התמורות היכל Hei’hal Hatmourot cet espace-temps du sommeil où l’âme se rend la nuit. D’où ce sentiment d’une identité incertaine dans le demi-sommeil si le nefesh[2]L’âme juive est constituée de trois parties : le nefesh, l’âme animale, le roua’h l’âme intellectuelle et la nechama l’âme divinea pris le dessus sur la nechama ou quand deux âmes ont malencontreusement été interchangées. Alors au matin, nous remercions le Créateur de nous avoir restitué notre nechama revitalisée par son séjour nocturne dans les Palais divins.
Pour se prémunir d’une conduite impure qui empêcherait un bon voyage nocturne, on ne laisse pas près de la tête d’objets métalliques, de sous-vêtements ou de chaussettes, même neufs. On choisit un couchage qui permet de séparer et de réunir facilement les lits pour respecter Taharat ha michpa’ha, les lois dites de pureté familiale, toujours pour se prémunir de la mort symbolique[3]Les menstrues étant considérées comme le signe d’une non-vie, donc de mort, les couples se séparent quelques jours par mois.
Veuille, Éternel mon D.ieu, me préserver du mauvais penchant et d’un accident fâcheux. Que je ne sois pas troublé par de mauvais rêves ni par de mauvaises pensées. Que mon lit soit parfait devant Toi, sans aucune tare familiale dans ma descendance. Que je m’en relève pour la vie et la paix. Éclaire mes yeux pour que je ne meure pas pendant mon sommeil[4]Extrait de la prière avant de dormir...
La loi juive insiste sur deux autres points concernant l’aménagement de la chambre parentale : pouvoir faire le noir complet et s’assurer qu’aucun son ne filtre à l’extérieur.
Expliquons. On appelle la chambre le Kodesh ha Kodashim, le Saint des Saints, parce que personne d’autres que ses occupants ne devraient y pénétrer ou même savoir ce qui s’y passe. Au Temple, c’est ainsi qu’était désigné l’espace dédié à la rencontre du Divin avec Son premier Serviteur, le Cohen Gadol. Personne d’autre n’avait le droit d’y entrer. Les deux chérubins tournés l’un vers l’autre, enlacés comme un Roi et Sa fiancée, atteste de l’amour de D.ieu pour Son peuple. Cet endroit tenu secret – l’espace entre les deux kerouvim – abritait la rencontre miraculeuse du Créateur avec Son plus proche Serviteur, Moïse. De la même manière que D.ieu se tient entre les époux rapprochés pour procréer.
Ce théménos[5]Théménos : terme grec désignant un sanctuaire pour une divinité, lieu sacré, doit rester fermé, sourd et aveugle pour le monde extérieur car ce n’est que dans la plus grande discrétion que doit s’opérer le grand œuvre de la procréation. Cette opération mystérieuse nécessite la réunion de trois parties – l’homme, la femme et le Créateur. Le couple participe à la conception en fournissant ce qui composera le corps de l’enfant à naître et D.ieu son âme[6]D.ieu complète la création du couple humain par dix choses : l’esprit, l’âme, l’éclat du visage, la vue, l’ouïe, la parole, la faculté de marcher, la connaissance, le sens commun et … Continue reading), tous feux éteints, à l’abri des regards étrangers et des forces malveillantes qui pourraient nuire au processus mystique. C’est pour cette raison que le couple qui veut engendrer des enfants d’un haut niveau spirituel s’emploie, dans son intimité la plus précieuse, à conserver des pensées et des paroles dignes.
Références
↑1 | « L’impur » n’est pas le « sale » mais le contact avec la mort, réelle ou symbolique |
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↑2 | L’âme juive est constituée de trois parties : le nefesh, l’âme animale, le roua’h l’âme intellectuelle et la nechama l’âme divine |
↑3 | Les menstrues étant considérées comme le signe d’une non-vie, donc de mort, les couples se séparent quelques jours par mois |
↑4 | Extrait de la prière avant de dormir |
↑5 | Théménos : terme grec désignant un sanctuaire pour une divinité |
↑6 | D.ieu complète la création du couple humain par dix choses : l’esprit, l’âme, l’éclat du visage, la vue, l’ouïe, la parole, la faculté de marcher, la connaissance, le sens commun et l’intellect (Talmud Nidda |