Les trois fleuves
Voici ce qu’enseigne à leur propos le Zohar, le livre fondamental de la Kabbale, au IIIe siècle de notre ère : « Ces trois enfants de Noé sont l’existence du monde entier, et d’eux s’est peuplée toute la terre et, comme ce fleuve qui s’étend et sort pour irriguer un champ, se séparent les trois couleurs, dont chacune est incluse dans l’autre. » Zohar, portion de Noé, première partie, p. 73 : a.
Chem, Ham et Yafeth ressemblent, nous dit la Kabbale, à trois fleuves, à trois grands courants qui irriguent et mettent en valeur le monde. Cette image de fleuves trouve une superbe résonance dans notre mot « culture » : les trois groupes de Chem, Ham et Yafeth irriguent et cultivent le monde sous trois aspects, sous trois angles culturels, que la Kabbale appelle trois « couleurs ». C’est un des sens du fameux arc en ciel apparu à Noé.
« Noé lui-même est le fondement — Yesod — et les trois tons de l’arc en ciel sont ses fils, et ils sont contenus en lui. » R. Hayim Vital, Genèse, portion de Noé.
Le Zohar nous enseigne également que chacune de ces « couleurs » est « incluse dans l’autre ». Chacun de ces trois groupes contient les caractéristiques de l’autre. Ce n’est qu’un accent qu’il met sur un certain aspect du réel. La réalité nous est en effet présentée par la Kabbale comme « un diamant aux 70 facettes ». Elle peut être vue sous différents angles, tous aussi vrais les uns que les autres.
La réalité n’est pas un monolithe. Ainsi, le Sanhédrin — la Cour Suprême qui siégeait à Jérusalem — était composé justement de 70 membres, afin que l’on puisse considérer, au moins potentiellement, tous les aspects d’une situation avant d’en juger. De même, 70 nations sont à la base de notre humanité, pour éclairer la réalité sous tous ses angles.
Certes, ce nombre de 70 peut sembler hautement symbolique. Nous dirons plutôt, suivant la Genèse, qu’il est « harmonique », comme le Nombre d’Or, que l’on retrouve aussi bien dans les architectures les plus complexes que dans les plus simples des coquillages.
Prenons-le pour l’instant comme un axiome.
Notre humanité tout entière est vue par la Kabbale comme émanant d’une même racine et nos cultures comme une même lumière qui se diffracte en 70 couleurs.
Quels sont ces accents, quelles sont ces trois orientations qui vont se subdiviser en 70 nuances ?
C’est dans les noms mêmes de Chem, Ham et Yafeth que se trouve la clé qui vient nous décrire leur essence.
Chem, Ham et Yafeth ou les trois pôles du réel
Chem, Ham et Yafeth sont en effet des noms éminemment symboliques qu’on ne verra plus jamais réapparaitre dans les textes bibliques pour désigner des personnages.
Chem signifie en effet « Nom ». Étrange, n’est-ce pas ? Car appeler quelqu’un « Nom » revient à ne pas le nommer du tout. C’est bien évidemment un symbole, une fonction ou une caractéristique que vient exprimer ici la Genèse.
Ham, quant à lui, signifie en langue biblique « Chaud ». Encore un symbole, car tout être vivant porte en lui de la chaleur.
Quant à Yafeth, il signifie « Embellit ».
Tout cela évidement porte un code. Ces noms si singuliers ne viennent ni plus ni moins nous désigner trois angles de la réalité que Chem, Ham et Yafeth allaient chacun mettre en valeur et cultiver.
Commençons par Chem, le Nom.
Toute chose, toute idée, tout événement possède un nom. Un nom décrit d’abord et avant tout la fonction d’une entité quelle qu’elle soit. On emploie le mot « humain » pour désigner tous les humains, le mot « table » pour désigner toutes les tables, le mot « pensée » pour désigner toutes les pensées, sans distinction. Un nom vient désigner l’essence, la fonction, le plan d’une chose.
Mais un nom n’est qu’une idée, un concept. Pour pénétrer l’existence, il lui faut un support, une matière, une énergie qui lui donnent corps et le concrétisent. Ce facteur de concrétisation s’appelle, dans la Genèse, Ham.
Ham, nous l’avons vu, signifie « Chaud ». Ainsi, bien longtemps avant la science moderne, la Genèse nous enseigne que la base de toute existence, de toute énergie, de tout mouvement et de toute vie s’appelle chaleur. Cette chaleur, pour la physique relativiste, se transforme en mouvement, en matière, en vie, et vice-versa. Toute vie, toute matière, toute énergie, tout mouvement repose donc sur une réalité que l’on appelle Ham.
Avec le « Nom », nous avons le plan. Avec le « Chaud », nous avons le support.
Une fois établis le plan et le support, il faut alors que les choses prennent forme.
C’est Yafeth, l’« Embellit », qui est un verbe d’action.
Nous avons d’abord vu un concept, puis un support. À présent, avec Yafeth ,vient l’action finale : la formation. Exactement comme pour un sculpteur qui, après avoir établi un plan puis mis en place une matière et son énergie d’action, réalise.
Mais pourquoi ce mot d’« Embellit » ? Dans notre monde, tout tient sur des équilibres, de l’atome avec ses orbites harmoniques, ses équilibres de charge, jusqu’au cosmos avec sa gravitation, ses ellipses, ses spirales. Le corps humain est symétrique comme la fleur ou le cristal. Les atomes, les molécules, tout est construit sur des équilibres unitaires qui assurent leur stabilité et leur cohésion. Nos actions elles-mêmes ont un plan, une énergie de réalisation et un déroulement en harmonie avec leur contexte.
Chem, Ham et Yafeth incarnent donc les trois aspects fondamentaux de la réalité, de toute réalité. Ce sont les trois axes de l’existence.
Tout a un nom et une fonction : Chem.
Tout dispose d’une matière ou d’une énergie : Ham.
Tout résulte d’une formation : Yafeth.
Chem, l’Asie et ses peuples explorent les « noms », les concepts, le plan des choses et leur dimension abstraite.
Ham, l’Afrique et ses peuples explorent les énergies, les forces de vie et les bases de l’existence.
Yafeth, l’Europe explore les harmonies, les finitions et les équilibres du monde.
C’est cette absolue tripolarité de l’humanité, fondamentale et formatrice, qui est la clé de son unité. Mais tous, sont à la fois Chem, Ham et Yafeth. Tous ont une fonction, un support d’existence et une forme. Ce n’est qu’un accent mis par chacun des trois grands groupes de peuples sur l’un de ces aspects et c’est cet accent qui, pour la Genèse, fait les cultures.
Cette fabuleuse symbolique peut nous sembler au premier abord très étonnante. Il nous faut donc en amener des preuves tangibles. Comment cet enseignement s’exprime-t-il concrètement dans les cultures que nous connaissons ?
Prenons un premier exemple, le plus universel qui soit : la musique.
Chez Chem, l’Asie, le monde du Nom et de l’abstraction, c’est la phrase musicale qui prime.
Les notes y sont très nettes, mais imprévisibles, comme pour décrire une pensée. Ainsi, on peut trouver en Inde jusqu’à 600 gammes différentes. La musique de Chem est comme une parole et, pour s’exprimer, elle utilise de préférence, comme la voix humaine avec ses cordes vocales et son souffle, les instruments à cordes et à vent. Cette musique engendre un état de réflexion et de sérénité.
Chez Ham, en Afrique, le monde des énergies, c’est le fond énergétique de la musique, le rythme que les peuples explorent et développent à leur maximum.
On y utilise la plupart du temps des instruments qui sont précisément des « contenants », des supports qui vibrent sous la main : les percussions, la peau animale tendue, le bois. Cette musique peut être extrêmement complexe, comme les polyrythmies d’Afrique de l’Ouest. Répétition, modulation de frappe. Elle énergise, anime la matière et brise les barrières corporelles. Elle est presque toujours accompagnée de danse. Elle engendre la vitalité et la joie.
Chez Yafeth, l’Europe, qui est le monde de la forme et de l’« Embellit », c’est la partie harmonique de la musique qui prime.
Toutes sortes d’instruments extrêmement diversifiés sont utilisés : instruments à cordes, percussions, instruments à vent en tous genres. Il s’agit ici en effet de réunir, d’unifier, d’harmoniser des sons aussi différents que possible. On y recherche l’absolue beauté. Elle engendre la détente et l’émerveillement.
Ainsi, nous trouvons déjà dans la musique l’expression des trois pôles décrits par la Kabbale.
Nous vous présenterons d’autres exemples dans la suite de ces articles sur nos origines.
Ce que nous devons en retenir pour l’instant est que notre humanité est composée d’entités fabuleusement complémentaires, et c’est cette complémentarité qui assure son unité.
Le peuple juif ?
Nous verrons qu’il descend d’Ever, un des peuples de Chem, d’où son nom d’Hébreu. Lui aussi est peuple de l’abstraction et des essences. Mais ce n’est pas, autour d’une culture ou d’une « couleur » de la réalité qu’il s’est formé, mais pour garder, quelque part dans le monde, l’ancienne lumière non diffractée et le souvenir permanent de l’unité.
Auteur du livre « Origine des peuples et des cultures » disponible chez Amazone