De forme cubique, la toupie ou sevivon en hébreu, dreydel en yiddish, tourne sur sa pointe grâce à l’effet gyroscopique. La roue est lancée à grande vitesse, mais tend à résister aux changements d’orientation. Contraint, le corps gyroscopique réagit de façon paradoxale : en se déplaçant non pas dans la direction de la force qu’il subit comme on s’y attend, mais dans une direction perpendiculaire : la toupie tourne sur elle-même.
Le sevivon est la variante juive du totum romain, connu depuis l’Antiquité. Comme son nom l’indique (totum signifiant tout), cette toupie est un jeu de hasard, où chacun des participants peut miser et gagner en fonction du résultat donné par la toupie.
Les sources juives[1]Otsar Kol Minhaguei Yechouroun du Rav A. E. Hirshovitz, au nom du Rav Karlenstein (XIXe), ou encore Rav Yekouthiel Halberstam (1905-1994) dans son Divrei Yatsiv. relient le jeu du sevivon à la sombre période où le peuple juif était soumis à la domination grecque, en -175 avant l’ère vulgaire. Devant l’interdiction formelle d’étudier la Torah, les enfants juifs se rassemblent pour étudier par cœur tout en jouant à la toupie, afin de détourner l’attention des patrouilles ennemies ou de donner l’alerte.
Mais que signifient donc les lettres inscrites sur le pourtour de la toupie ? Et pourquoi les toupies israéliennes sont-elles différentes des toupies de la diaspora ?
La variante romaine porte les lettres ADPT sur chacune des quatre faces du pourtour : A (accipe, « reçois »), D (da, « donne »), P (pone, « pose ») et T (totum, « tout », prends tous les enjeux).
Au XVIe siècle, en Angleterre, la toupie, appelée teetotum, arbore les lettres TNHP: T (Take all, « prends tous les enjeux »), H (Half, « moitié »), P (Put down, « pose ») et N (nothing, « rien ne se passe »). De l’autre côté de la Manche, la version allemande de la toupie, devenue torrel ou trundel, porte les faces N (Nichts, « rien »), G (Ganz, « tout »), H (Halb, « moitié ») et S (Stell ein, « dépose »).
Ceci nous rappelle très nettement la version juive qui porte les lettres Noun, Guimel, He et Chin.
Les lettres de la toupie seraient donc en fait… les règles du jeu. Mais s’y cachent aussi d’autres niveaux de sens. Tout d’abord, le plus classique acrostiche de Ness Gadol Haya Cham: “Un grand miracle a eu lieu là-bas”. En effet, pour le Juif européen ou oriental qui se rappelle les miracles de la victoire de Hanouka et de la fiole d’huile qui dura huit jours, le miracle eut bien lieu “là-bas”, en Terre d’Israël. On comprendra alors pourquoi, pour les Juifs présents sur la terre ancestrale, la dernière lettre, un Chin, deviendra un Pe, transformant le Cham, là-bas, en Po, ici, tout cela… sans changer bien sûr les règles du jeu !
Mais si nous creusons encore plus profond, avec Rabbi Tsvi Elimelekh de Dinov dans son Benei Yissakhar, d’autres surprises nous attendent. Les 4 lettres symbolisent les 4 empires qui oppressèrent le peuple d’Israël : Noun de Nabuchodonosor, empereur de Babylone, Guimel de Gog, autre nom de la Grèce, Hé de Haman, ministre de Perse et de Médie qui tenta de nous exterminer, et enfin Chin de Séïr, toponyme devenu surnom d’Edom et de Rome.
En parallèle, les 4 lettres symbolisent les 4 niveaux de l’être juif : le Néfech (l’instinct basique), le Gouf (le corps), le Sékhel (l’intellect), Ha-Kol (l’entité globale qui réunit le tout).
Or, chacun de nos ennemis nous a porté atteinte à un niveau différent :
Les Babyloniens ont détruit le Temple et nous ont exilés en blessant nos corps et notre autonomie nationale.
Les Perses ont tenté de nous séduire par leurs richesses et leur course aux plaisirs charnels, dans des festins débridés, parlant aux bas instincts.
Les Grecs, dans leurs tentatives d’hellénisation, parlèrent principalement à l’intellect juif en lui faisant miroiter les mirages de la philosophie grecque.
Les Romains, enfin, ont pu faire des ravages dans nos rangs en combinant toutes ces approches à la fois.
Tous ces empires nous encerclent de leurs chaînes, tournent encore et encore autour de nous, avant de finir par s’effondrer, avec la chute de la toupie.
Ceci devient encore plus significatif lorsque nous remarquons que la somme des valeurs numériques de toutes les lettres inscrites sur la toupie nous donne 358 (50+3+5+300), équivalent à celle du Na’hach, le serpent qui enserre dans ses anneaux, mais qui, finalement, se transforme en un mot à la signification absolument antagoniste, mais de même valeur numérique : Machia’h. Lorsque apparaît le Messie, le serpent, symbole du mal absolu, arrête alors sa ronde infernale et disparaît…
Hanouka, petite lumière au cœur du sombre hiver, nous transmet son message d’espoir, même au travers de la virevoltante toupie. Si, à Pourim, les enfants jouent de la crécelle, à Hanouka, ils font tourner des toupies. La main qui agite la crécelle se trouve sous l’instrument, symbolisant l’action dissimulée de D.ieu… qui se cache derrière les intrigues du palais d’A’hachvéroch / Assuérus. Mais, à Hanouka, la main qui lance la toupie est au-dessus du jouet, figurant l’intervention divine éclatante, au travers du miracle surnaturel de la fiole d’huile.
Que de profondeurs derrière ce simple jeu ! Pour paraphraser Flaubert : Rien n’est plus sérieux que le jeu…
C’est donc bien là une interrogation existentielle : Toupie or not toupie, telle est la question, et nous sommes loin d’en avoir fait le tour… !
Références
↑1 | Otsar Kol Minhaguei Yechouroun du Rav A. E. Hirshovitz, au nom du Rav Karlenstein (XIXe), ou encore Rav Yekouthiel Halberstam (1905-1994) dans son Divrei Yatsiv. |
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Une réponse
Très intéressant merci