Le Gaon Rabbi Eliahou de Vilna est certainement l’une des personnalités les plus marquantes du peuple juif. Il est l’un des piliers de la transmission de la Torah. Son influence se fait sentir jusqu’à nos jours. Il fût un auteur prolifique dont les nombreux ouvrages sont encore largement étudiés dans les yéchivot modernes.
Né le 23 Avril 1720, il quitte ce monde le 9 Octobre 1797. Son érudition touche l’ensemble des domaines de la Torah. Ce qui est remarquable et le démarque de bon nombre de grands dirigeants spirituels du peuple juif de l’époque moderne est son érudition dans les domaines profanes.
Le Gaon — comme on le surnomme — consacrait une partie de son temps à l’étude assidue de divers domaines scientifiques. Il demandait d’ailleurs à chacun de ses élèves d’être expert au moins dans un domaine scientifique. Il disait souvent que « lorsqu’un homme manque de connaissances, il lui manque énormément d’éléments pour comprendre la Torah ». Selon les témoignages de ses élèves, ainsi qu’à la lecture attentive de ses livres, il avait beaucoup de connaissances en mathématiques, ingénierie, biologie, astronomie, géographie, langues et musique.
Le Gaon a également laissé un héritage éducatif. En effet, il insistera auprès de son élève Rabbi Haïm de Volozine afin qu’il ouvre la première yéchiva moderne. On y étudiait 24h/24 et 7j/7 par groupes d’élèves qui se succédaient dans la salle d’étude. La structure créée par Rabbi Haïm est encore en vigueur de nos jours dans les yéchivot modernes.
Par ailleurs, le Gaon a eu pour projet de monter s’installer en terre d’Israël. On sait que pour réaliser son projet, il s’est rendu à Amsterdam où se trouvaient les centres des sociétés philanthropiques qui finançaient la création des colonies juives en Erets Israël. D’après de récentes études menées sur les archives de ces sociétés philanthropiques, il y aurait rencontré le Rav Hida (1724-1806), un des géants de son époque, qui venait de Hébron. Ils se seraient concertés sur les secrets kabbalistiques concernant l’époque messianique. À la suite de cette rencontre, le Gaon aurait abandonné son projet d’Alyah.
En revanche, il confiera à l’un de ses élèves, le Rav de Chiklov, le projet de la première Alyah de l’ère moderne. Convaincu que son époque était celle qui précédait la venue du Messie, il fallait donc commencer à repeupler la terre d’Israël. Deux cents familles, dont celle, par exemple, du président de l’État d’Israël, Réouven Rivlin, s’installeront en Israël dès les années 1810-1820. Elles constituent, avec les groupes de Hassidim installés à Tibériade, l’embryon du retour collectif du peuple juif sur sa terre après 1 800 ans d’exil.
Enfin, et sans tomber dans le manichéisme qui caractérise le récit de cette controverse, on ne peut pas évoquer le Gaon sans consacrer quelques lignes à son opposition au Hassidisme.
Les controverses qui ont opposé le Gaon et les maîtres hassidiques portent sur des sujets dont la hauteur et la profondeur sont difficiles à exprimer. Il y est question de la nature de la présence et de l’intervention du Créateur dans Sa création, de la perception de ladite intervention chez les humains. Ces concepts sont d’une clarté et d’une limpidité totale pour les érudits, mais sont totalement galvaudés sur la place publique. Par ailleurs, on tombe souvent dans la facilité lorsque l’on attribue les récriminations du Gaon contre les Hassidim aux pratiques religieuses hassidiques : exubérance, gesticulations et galipettes pendant la prière, centralité du Rebbe.
Il nous faut donc revenir à la source de cette mahloket — disputation.
Peu avant son décès, le Ari zal (1534-1572) — le plus grand maître de la Kabbale de ces 600 dernières années — fera une curieuse révélation à ses élèves : la connaissance, l’étude et la diffusion des secrets kabbalistiques de la Torah conditionnent le dévoilement messianique. Son enseignement ne s’est pas suffisamment répandu de son vivant, explique le maître. Il révèle donc à ses élèves que de grandes âmes descendront dans le monde pour terminer son travail et préparer l’avènement de l’ère pré-messianique.
Durant les siècles suivants, deux grands malheurs vont s’abattre sur le peuple juif : les massacres de 1648-1649 par les cosaques de Bogdan Chmielnicki et l’émergence de deux faux messies : Chabtaï Tswi (1626-1676) et sa soi-disant réincarnation Jacob Frank (1726-1791). Les périodes de malheur et de persécution ont toujours fait naître des espoirs messianiques. C’est sur cette vague que va « surfer » Chabtaï Tswi, avec les conséquences désastreuses que l’on connaît : désespoir accrue des communautés juives, trouble collectif des repères identitaires et leur corollaire, désertion, assimilation et conversion d’un grand nombre de disciples qui fuient leur Judaïsme.
C’est dans ce climat que naissent les trois plus grandes personnalités du Judaïsme moderne, celles qui influencent TOUS les courants du Judaïsme jusqu’à nos jours : le Baal Chem Tov — rabbi Israël Baal Chem Tov — en 1698, le Ramhal — Rabbi Moché Haïm Luzzato — en 1707 et, enfin, le Gaon de Vilna, en 1720.
Deux de ces trois personnalités seront combattues par leurs contemporains : le Baal Chem Tov et le Ramhal. Ils dévoilent « trop » de secrets kabbalistiques. Ils présentent le risque d’être mal compris. Les grands maîtres de leur temps voient en eux un risque de retour aux pratiques sabatéennes. Le Gaon, quant à lui, sera un leader incontesté mais mal compris par les maskilim, les élèves de Moïse Mendelssohn. On lui attribue, à tort, une parenté idéologique avec les maskilim.
Ces trois personnalités ont contribué à la diffusion du Sod, des secrets kabbalistiques dans trois sphères différentes : le Gaon dans le domaine de l’étude et dans les cercles érudits, le Ramhal dans la philosophie et la pensée juive et, enfin, le Baal Chem tov…dans le peuple !
Le Gaon s’opposera donc essentiellement aux dérives des Hassidim, tant dans leurs pratiques que dans leur compréhension des concepts les plus fondamentaux de la Kabbale. Il tentera, par son intervention vigoureuse, de freiner les dérives constatées dès la naissance des mouvements hassidiques. Cette intervention, qui se solde par de durs affrontements menés essentiellement par des dirigeants locaux, laissera des traces douloureuses dans le souvenir des communautés européennes.
Cependant, avec le temps, ces confrontations se sont atténuées pour faire place à des convergences spirituelles très puissantes.
Le reste — tout le reste — n’est que l’écume des mers balayée par le va et vient des vagues qui ont rythmé l’histoire du peuple juif depuis 250 ans : on ne peut plus étudier sans se référer au Gaon et sans suivre la méthodologie des yéchivot lithuaniennes ; on ne peut plus prier sans le Baal Chem Tov ; on ne peut plus danser sans rabbi Nahman ; on ne peut plus vivre sans la chaleur séfarade et son pouvoir de synthèse entre la mystique et le Talmud ; on ne peut plus être juif et sectaire. On ne doit plus vibrer en restant enfermé dans les 4 coudées de l’égotisme masqué sous la fierté d’appartenir à tel ou tel groupe. Tel est l’héritage de ces temps aujourd’hui révolus.
Le Gaon laisse à la postérité de nombreux ouvrages — 13 plus exactement. En outre, chacune des pages du Talmud et du Choulhan Aroukh — le code de loi juif — comporte l’un de ses commentaires.
On pourrait ne jamais s’arrêter d’écrire sur le Gaon de Vilna, abonder en superlatifs sur son génie précoce, sur sa maîtrise de la Torah ; ce faisant, on passerait encore loin du personnage central qu’il fût et qu’il reste encore pour le peuple juif.
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