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Les pierres du Sinaï : de la poussière du désert à la lumière de la Torah

La Révélation et le don de la Torah sur le Mont Sinaï constituent l’un des événements déterminants de l’histoire de l’humanité. Le peuple juif se reconnecte chaque jour à cet évènement, à travers l’étude de la Torah et la pratique de ses commandements mais aussi, chaque année, le jour de la fête de Chavou’oth. Mais saviez vous qu’il nous reste des témoins palpables et concrets de cet épisode fondateur de notre histoire ?
Pierres du Sinaï

Des sources historiques gravées dans la pierre

Notre première rencontre avec le Mont Sinaï précède de plus d’un an le don de la Torah. En effet, alors que notre maître Moché est encore berger de son beau-père Yithro, D.ieu se révèle à lui du coeur du buisson ardent et le désigne comme le libérateur d’Israël. Cette rencontre a lieu dans le désert, “sur la montagne du ‘Horev”. Nos maîtres1Le Pirkei de-Rabbi Eliezer, mais aussi le Ibn Ezra, le ‘Hizkouni et Rabbénou Be’hayé. identifient cette montagne comme celle du Sinaï, et expliquent que son nom provient du mot «Sené » ou buisson, car c’est du buisson ardent que sera annoncé2Chemoth / Exode 3, 12 : “Car quand tu auras fait sortir ce peuple de l’Égypte, vous adorerez le Seigneur sur cette montagne même.”

C’est là que nous attend une surprise de taille: au XIVe siècle, Rabbi Moché de Narbonne, philosophe juif né à Perpignan et spécialiste du Rambam, témoigne avoir reçu une pierre du Mont Sinaï des mains d’un voyageur espagnol, descendant du penseur Rabbi ´Hasdaï Crescas, qui aurait péleriné sur le site. Cette roche est très particulière car elle porte l’empreinte d’un buisson, dessin qui ne doit rien à la main de l’homme. Mais le plus surprenant, c’est que si on la brise, on pourra voir sur chacun des fragments l’image d’un buisson !

Ce témoignage est cité au XVe siècle par Rabbi Yits’hak ha-Éphodi. Ce commentateur du Guide des Égarés de Maïmonide, dont le vrai nom est Rabbi Yits’hak Profiat Duran, signe EPHOD d’après ses initiales “Ani Profiat Duran”.

Au XVIe siècle, ce sera le tour du kabbaliste Rabbi Nathan Neta Shapira de s’émerveiller de ces pierres particulières, portant ce qui semble la représentation du buisson ardent, qui réapparaît encore et encore chaque fois qu’on les brise. Dans son Megalé ‘Amoukoth, il mettra cela en relation avec les 120 ans de la vie de Moché Rabbénou, dont les instants les plus sublimes sont les trois périodes de 40 jours, soit 120 jours au total, passés au sommet de la montagne du Sinaï, qui elle-même porte le nom du “ buisson” : or la valeur numérique du nom “ha-sené” équivaut exactement à 120 !

Par la suite, ce sera l’auteur de l’ouvrage ‘Arvei Na’hal, Rabbi David Chlomo Eybeschitz qui, en parlant de ces pierres surprenantes, fera la relation avec le choix des acteurs du don de la Torah: Moché, homme le plus humble, sur le mont Sinai, montagne la plus humble car peu élevée, marquée du sceau du buisson, arbre le plus humble car trapu et souvent piquant. C’est à travers l’humilité que peuvent s’acquérir le savoir et la sagesse.

Ces témoignages seront cités par d’autres auteurs comme le Ya’avets ou l’auteur du Ta’amei ha-Minhaguim ; mais si certains auteurs non-juifs comme Arthur Penrhyn Stanley, en 1856, semblent eux aussi avoir constaté le phénomène, les pierres, elles mêmes disparaissent de la circulation pour des siècles.

Pourtant au XIXe siècle, Rabbi Ya’akov Sapir, émissaire des Sages de Jérusalem qui poussa ses périples jusqu’en Australie, va explorer le désert du Sinaï et y découvrir une montagne absolument désertique, ce qu’il attribue au verset interdisant au bétail de paître sur le Mont Sinaï. Et là, marchant sur le sol pierreux, il constate que lorsque les pierres de cette montagne se brisent, elles sont marquées de la marque légendaire du buisson. Cet auteur à l’esprit d’ethnographe s’émerveille du phénomène, qu’il évoque dans la passionnante chronique de ses voyages, intitulée “Even Sapir” (partiellement traduite en français).

Les pierres refont surface de nos jours.

C’est en 1973, juste après la guerre de Kippour, alors que le Sinaï est encore sous domination israélienne, qu’ont lieu les dernières péripéties.

Un groupe de ׳hassidim de Toledoth Aharon et de Belz saisit l’occasion pour se rendre en pèlerinage sur le lieu du don de la Torah.

Mais la mission est plus complexe qu’elle n’en a l’air. En effet, le lieu précis de ce que le texte appelle “le Mont Sinaï” est un mystère géographique.

La proposition la plus communément admise est le Djebel Moussa ou Montagne de Moché, situé dans le sud de la péninsule du Sinaï. La source de cette tradition est purement chrétienne, et remonte à l’Impératrice Hélène, mère de l’Empereur Constantin, qui fixa au IVe siècle que cette montagne était bien le Mont Sinaï biblique. C’est la raison pour laquelle a été établi, au pied de cette éminence rocheuse, le monastère de Sainte Catherine, l’un des plus anciens monastères au monde encore en activité, et la deuxième bibliothèque de manuscrits anciens au monde après celle du Vatican. Pourtant, aucune preuve archéologique ne soutient cette position.

D’autres propositions ont été évoquées comme le Djebel Halal, plus au nord ou le Djebel Sin Bicher ou même l’hypothèse étrange du Professeur Anati qui le place au sud du Néguev…

Nos ‘hassidim se rendent au Djebel Moussa puis encore plus au sud, au Djebel Katerina, sommet encore plus élevé : ils échouent cependant à trouver ces fameuses pierres (ce qui est, au passage, un peu étonnant, puisque dans les années 70 de nombreux touristes pouvaient témoigner en avoir trouvé dans les parages). Ils décident néanmoins de poursuivre leur périple.

La zone devient particulièrement inhospitalière. Leurs seuls compagnons sont les serpents, scorpions et autres chacals. Les seuls êtres humains présents sont de rares bédouins qui se font brigands à l’occasion. Même l’armée israélienne refuse de les accompagner et décline toute responsabilité en leur précisant même “qu’ils n’iront pas chercher leurs cadavres”…

Mais les ‘hassidim ne se laissent pas décourager et leur persévérance va être couronnée de succès. Ils parviennent à une montagne couverte de pierres d’un beige brunâtre, ornées de dessins sombres rappelant exactement la forme d’un arbuste !

Comme témoignage de leur découverte, ils ramènent avec eux une belle quantité de ces pierres, qui sont devenues depuis de vraies pièces de collection… En effet, suite aux accords de paix israélo-égyptiens, le Sinaï sera rétrocédé à l’Egypte à partir du 26 mai 1979, rendant l’accès à la zone difficile voire impossible. Nos ‘hassidim, n’étant pas de grands géographes et ne disposant pas à l’époque du GPS, n’ont pas su définir exactement l’emplacement de la montagne, sinon qu’elle se trouve dans un triangle situé à l’extrême pointe du Sinaï.

Ces pierres du Sinaï, très rares donc, étaient vendues à certains initiés par le Rav Ya’akov Yits’hak Einhoren. Lors de sa visite à New York, en 1979, il les présenta au Rav Moché Feinstein, un des plus grands décisionnaires du XXe siècle : celui-ci n’hésita pas à y voir d’authentiques pierres du Mont Sinaï et à les considérer comme offrant un raffermissement de la Émouna, de la foi, même si nous n’avons pas besoin de ce genre de choses pour croire en la Révélation.

S’il est vrai que ce genre d’arborisations dendritiques est relativement courant et que ces motifs spectaculaires, qui ressemblent à des branches d’arbres ou à des fougères, se retrouvent fréquemment dans de nombreux types de roches, notamment les calcaires, les quartzites, les granites et les agates, les pierres du Sinaï sont d’un genre différent. En effet, ces dendrites, principalement constituées d’oxydes de manganèse parfois mélangés à un peu d’oxyde de fer comme dans la majorité des calcaires francais de Cerin dans l’Ain, ou dans les superbes agates dendritiques, restent superficielles et s’étalent à plat sur la surface ou juste sous la croûte de la roche.

Les dendrites profondes sont beaucoup plus rares, elles se développent à l’intérieur de la roche, et peuvent prendre des formes tridimensionnelles complexes. On peut en trouver dans la Calcédoine de Pilbara en Australie ou … dans les pierres du Sinaï ! Un examen au microscope électronique, effectué au laboratoire de l’Université de Jérusalem, a confirmé cette particularité : les dendrites sont infiltrées particulièrement profondément dans la roche, ce qui explique pourquoi même en la brisant encore et encore le dessin du buisson ne cesse d’apparaître.

Les dendrites minérales, ces motifs en forme d’arbuste, se forment lors de la circulation de solutions riches en manganèse ou en fer dans des fissures ou à la surface des roches. Lorsque ces solutions rencontrent des conditions favorables (sursaturation, présence d’oxygène), les oxydes précipitent rapidement. La croissance n’est pas uniforme : de petites variations locales favorisent la formation de « pointes » qui croissent plus vite que le reste du front de précipitation. Ces pointes deviennent les « troncs » des dendrites. À partir de ces troncs, des branches secondaires puis tertiaires apparaissent, chacune croissant dans des directions légèrement différentes, ce qui donne une structure arborescente ou fractale.

Toute cette longue formation minérale produit une forme nous rappelant de manière saisissante la forme du buisson ardent. Le Rav Aharon Leib Steinman avait d’ailleurs remarqué, sur la pierre qu’il gardait précieusement, que les feuilles du motif étaient organisées en groupe de cinq, conformément à ce qu’écrit le Midrach il y a 2000 ans : “D.ieu montra à Moché les feuilles du buisson ardent, organisées en groupe de cinq, et lui dit : le peuple d’Israël sortira d’Egypte par le mérite de cinq personnes: Avraham, Yits’hak et Ya’akov, toi Moché, ainsi que ton frère Aharon !”.

Ce dessin très particulier, si profondément gravé dans le roc, nous rappelle un enseignement d’une rare puissance: sur cette montagne nous sera donnée la Torah, qui est bien plus qu’une simple sagesse. La Torah était gravée dans les tables de pierre, car elle fait partie de l’être juif lui-même, elle constitue une part indissociable de son identité profonde, de sa vie elle-même.

Le Talmud nous enseigne que, alors que les Enfants d’Israël avaient déjà proclamé leur acceptation de la Torah, D.ieu plaça le Mont Sinaï au-dessus de leur tête en leur disant : “Si vous acceptez ma Torah, tant mieux. Sinon “là-bas” sera votre tombeau !”

Menace incompréhensible puisque absolument inutile, vu que nous avions déjà donné notre accord !

En comprenant le phénomène de l’inscription dans le roc, nous pouvons peut-être lire le texte d’une manière tout à fait nouvelle : le peuple d’Israël a saisi, à cet instant, que la Torah est indissociable de son identité, tissée au coeur même de sa vie. « Là-bas, loin de cette source » se trouve “votre tombeau”, toute existence détachée de notre héritage ancestral nous condamne à l’errance, nous transformant en un peuple égaré sur les chemins du monde, qui risque de devenir “le tombeau” de notre identité profonde, de notre mémoire collective.

  • 1
    Le Pirkei de-Rabbi Eliezer, mais aussi le Ibn Ezra, le ‘Hizkouni et Rabbénou Be’hayé.
  • 2
    Chemoth / Exode 3, 12

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