Ce double précepte de la Torah (Nb.15;38) consistant, d’une part, à apposer des franges de laine blanche entrelacée aux rebords d’un vêtement à quatre coins et, d’autre part, d’ajouter à ces franges un fil de couleur Tekhelet — nuance de bleu —, est considéré par Maïmonide comme l’une des prescriptions majeures du judaïsme, au même titre que la Brit Mila — circoncision. Mais d’où provient cette intrigante teinture de bleu, que représente-telle au juste, et sommes-nous aujourd’hui en mesure de la retrouver ?
Un bleu si omniprésent, que l’histoire n’a pourtant pas épargné
Le Tekhelet était une teinture bleue utilisée dans les vêtements sacerdotaux de l’ancien Temple de Jérusalem, pour les tapisseries du Tabernacle et dans les franges des vêtements rituels juifs. On retrouve plusieurs descriptifs à cette insaisissable nuance de bleu : certains la nomment Azur, d’autres Indigo ou Jacinthe.
Ce pigment, mentionné 50 fois dans la Torah, a suscité l’émerveillement de nombreuses civilisations. En effet, les Minoens l’ont découvert, Cléopâtre l’adorait, les Phéniciens ont subtilisé la technique de sa fabrication, et les Juifs, obéissant à l’injonction biblique de la natter au coin de leurs vêtements, ont risqué leur vie pour elle !
Cependant, après la destruction du Second Temple, la méthode de production de cette merveilleuse couleur est regrettablement tombée dans l’oubli pour de nombreuses générations.
Les raisons de cette perte de connaissance sont multiples et complexes, mais cela pourrait être dû à la disparition des centres de production, à l’abandon des pratiques religieuses liées au Tekhelet, à la difficulté d’élaborer cette teinture qui nécessite des conditions très particulières, ou à une combinaison de ces facteurs.
De plus, toutes les mentions bibliques du Tekhelet — à la fois séculier et sacerdotal — attribuent son utilisation à une sorte d’élite. Cela implique que cette teinture était difficile à obtenir et coûteuse, une impression encore corroborée par les écrits rabbiniques ultérieurs.
La méthode de fabrication exceptionnelle du Tekhelet
Le Tekhelet était produit à partir d’un mollusque marin appelé Murex Trunculus, qui était abondant dans les eaux de la Méditerranée. La teinture bleue était extraite de la glande hypobranchiale de ce mollusque, proche de son système digestif.
Cette méthode impliquait de collecter une grande quantité de coquilles de Murex Trunculus, de retirer leur glande hypobranchiale et de la laisser tremper dans une solution alcaline pendant plusieurs jours. Ensuite, la solution était exposée à la lumière du soleil, provoquant l’oxydation de la teinture et la transformation de sa couleur en bleu.
À la poursuite de la couleur la plus précieuse du judaïsme
La quête du Tekhelet a débuté en 1888, lorsque le Rabbin Gershon Hanoch Leiner, également connu sous le nom de Radziner Rebbe, publie trois livres qui, en se reposant sur des sources talmudiques, affirment identifier un certain calmar comme étant à la source de la production du pigment. Bien que sa suggestion ait été rejetée, elle a tout de même déclenché un engouement en faveur de la poursuite de ce bleu sacré.
En 1914, le Rabbin Isaac Herzog, futur Grand Rabbin d’Israël, a soutenu une thèse sur la recherche du Tekhelet. Bien qu’il n’ait pas pu déterminer la source exacte de la couleur, il a fermement prouvé son origine et sa couleur profonde, d’un bleu nuit.
En 1991, le Dr Baruch Sterman, physicien et talmudiste américain, créé l’association « Ptil Tekhelet », qui a pour objectif principal de redécouvrir la méthode de production du Tekhelet. Par la suite, il écrit « The Rarest Blue », un ouvrage qui explore l’histoire du Tekhelet, sa signification symbolique et les découvertes scientifiques qui ont permis de le reproduire.
Ptil Tekhelet a fait ses débuts en tant que groupe de recherche informel, rassemblant des érudits, des scientifiques et des artisans, pour explorer les sources anciennes et expérimenter la redécouverte du Tekhelet. Au fil du temps, l’association est devenue une organisation plus structurée, qui établit des collaborations avec des scientifiques et des experts du monde entier pour poursuivre ses recherches.
L’exposition fascinante du musée « Hamizgaga » — Kibboutz Nahsholim
Hamizgaga propose une exposition d’objets rares et précieux liés à la fabrication du Tekhelet. Les visiteurs peuvent admirer des échantillons de teinture, des outils de fabrication, des reproductions de tissus anciens, ainsi que des œuvres d’art modernes inspirées de cette teinture. L’exposition offre également un aperçu de l’histoire et de la signification religieuse du Tekhelet dans la culture juive.
En marge de l’exposition, le musée propose des ateliers pratiques pour les visiteurs intéressés à expérimenter les techniques de fabrication du Tekhelet. Les ateliers sont animés par des experts et comprennent des démonstrations de la préparation de la teinture à partir des mollusques, ainsi que des techniques de teinture sur tissus.
Un bleu qui nous transporte
Rabbi Méïr avait l’habitude de dire : « En quoi le Tekhelet diffère-t-il des autres couleurs — pour qu’il ait été choisi pour teindre l’un des fils des Tsitsit ? C’est parce que le Tekhelet ressemble à la mer, que la mer ressemble au ciel, et le ciel au Trône céleste. » Selon certains commentateurs, le rôle du Tekhelet est de nous rappeler à tout instant la royauté de « Celui qui siège sur le Trône »…