Son parfum embaume l’atmosphère de la fête de Souccot. On le retrouve dans toutes les mains, avec ses collègues la branche de palmier, le myrte et le saule, et parfois suspendu comme décoration de la soucca. Il s’agit du cédrat, communément dénommé éthrog. Pourtant, alors que tous les cédrats semblent se ressembler, vous avez peut-être remarqué que certains semblent avoir leurs préférences… Les Loubavitchs ne jurent que par les éthroguim de Calabre, les Yéménites nous surprennent avec des éthroguim souvent imposants, tandis que les Marocains s’émerveillent de la beauté du leur, cultivé avec amour sur les pentes de l’Atlas… La France a aussi sa part avec l’éthrog corse qui pousse sur l’île de beauté.
Petit tour d’horizon pour vous présenter les différentes facettes de celui qu’on appelle en Calabre le “Diamante »…
À l’origine de la recherche de ces différentes variétés, se trouve la rencontre entre la loi juive et la botanique. Pour la Halakha, on ne peut utiliser un éthrog greffé pour la mitsva de la fête de Souccot[1]Responsa du Rama 117 et 126, Michna Beroura 648,65. La greffe le transforme en effet en une autre espèce hybride, qui n’est plus celle dont nous parle le verset : « Et vous prendrez un fruit de l’arbre Hadar[2]Lévitique 23, 40 » déterminé par nos maîtres comme étant l’éthrog. Le problème complexe est que le cédratier étant un arbre particulièrement fragile, les pépiniéristes le croisent souvent avec le citronnier ou le bigaradier (oranger amer ou de Séville).
Ceci rend donc une grande partie des cédrats impropres à la mitsva. On peut néanmoins les reconnaître aux caractéristiques suivantes : le cédrat greffé est lisse comme le citron et riche en jus, tandis que le non greffé est bosselé, avec une peau épaisse et peu de jus.
C’est la raison pour laquelle les plus grands maîtres juifs ont parfois parcouru le monde pour retrouver des éthroguim non greffés, fidèles à l’espèce originelle.
L’éthrog yéménite
L’un des plus anciens éthroguim vient du Yémen. La tradition des Juifs yéménites raconte que leurs ancêtres l’utilisent depuis leur arrivée dans la péninsule, après la chute du premier temple au VIe siècle avant l’ère vulgaire.
En 1923, lors de son arrivée en Terre d’Israël, le maître yéménite Rabbi Chalom Itshak Halevy, voyant que les éthroguim en usage étaient différents, demanda que les prochains immigrants rapatrient avec eux des plants de cédratiers yéménites. Ceux-ci seront plantés autour des villes de Rehovoth et Peta’h Tikva.
L’éthrog yéménite est le plus souvent de variété “Chaanin”, ainsi nommé par les populations arabes, car il ne sert qu’aux Juifs pour les “Hocha’anotht”, les balancements. Il est clairement reconnaissable dès l’abord par sa taille et son poids imposants. En 2006, un éthrog de 4 kg ayant poussé dans le verger de Neot Kedoumim a même été inscrit dans le Guinness des records !
L’éthrog yéménite est d’aspect mat, presque duveteux, lisse, et n’a pas de pitam, car le stigmate de la fleur tombe très tôt. Il ne contient presque pas de pulpe juteuse, mais uniquement de la chair blanche, l’albédo. Le seul cédrat avec cette caractéristique est le très surprenant cédrat digité, à la forme de main, bien entendu inapte à la mitsva.
Cette tradition certifiant la pureté de l’éthrog, d’ailleurs certifiée par des études génétiques récentes, explique pourquoi les plus grands maîtres d’Israël, comme le Rav Isser Zalman Meltser ou le Rav Ovadya Yossef, utilisaient cet éthrog.
L’éthrog Hazon Ich
Rav Avraham Yechaya Karelits, souvent appelé le Hazon Ich du nom de son magnum opus, ainsi que son gendre Rav Israël Kanievsky, le Steipeler, utilisèrent pendant de nombreuses années un éthrog yéménite. Mais, lorsque les pépiniéristes israéliens commencèrent à greffer l’arbre avec d’autres agrumes locaux, le maître partit à la recherche d’un éthrog duquel il pouvait être sûr. En 1935, sa recherche fut couronnée de succès lorsqu’il découvrit un arbre totalement sauvage aux alentours de Safed, non loin de Na’hal ’Amoud (selon d’autres, non loin de Sichem). Cet éthrog était bien moins beau, mais il le reconnut comme non greffé, en fonction des différents signes qui décèlent les greffes possibles.
Le Hazon Ich confia des graines de son propre éthrog à ses élèves, pour pouvoir transmettre aux générations futures un éthrog irréprochable. C’est ainsi que furent créées les variétés Halperin (du nom de Rav Yaakov Halperin), Lefkovits (du nom de Rav Mikhel Lefkovits).
Ces fruits sont allongés, assez brillants avec un sommet conique, parfois surmontés d’un pitam (stigmate). À l’intérieur, on peut trouver une petite quantité de pulpe.
L’éthrog Braverman
Cet Éthro éthrog, reconnaissable à son aspect bulbeux, trouve sa source dans la Jérusalem du début du XXe siècle. Dans la cour de la famille Braverman de Peta’h Tikva, ville récemment fondée, fut plantée une graine de l’éthrog du Rav de Brisk, le Maharil Diskin, grande autorité rabbinique de Jérusalem. De cet arbre se diffuseront les vergers connus sous le nom d’éthrog Braverman, que les élèves de Brisk recherchent particulièrement.
Cet éthrog n’a en général pas de pitam et est assez rugueux et plutôt rare, car difficile à cultiver, vu sa fragilité.
L’éthrog marocain
L’éthrog marocain grandit dans la petite localité d’Assads, laquelle se trouve à 60 km au sud-ouest de Taroudant, sur les premiers contreforts de l’Anti-Atlas.
Les Juifs marocains disent l’utiliser depuis leur arrivée au Maroc, après la destruction du second temple. Les plants sont non greffés et ont même été reconnus comme tels par une expédition spéciale envoyée par le Rav Eliachiv, grand décisionnaire de la fin du XXe siècle, et dirigée par le professeur Eliezer Goldchmidt de l’Université hébraique ainsi qu’une équipe rabbinique.
L’éthrog marocain est réellement splendide. Vert clair au moment de la cueillette, il jaunit par la suite. Par un effet optique, les microbulles à sa surface renvoient la lumière et lui donnent un effet scintillant. Sa forme est caractéristique, car il ressemble exactement à ce que décrit Rabbi Yossef Caro, auteur du Choul’han’ Aroukh : en forme de tour, avec une base large et un étranglement au milieu qui va en rétrécissant vers la pointe qui garde son stigmate (pitam). L’éthrog marocain est plus doux au goût que les autres éthroguim et contient plus de pulpe.
L’éthrog calabrais
L’éthrog calabrais, aussi appelé cedro di diamante, pousse aux alentours de la ville de Diamante dans la province de Cosenza, en Calabre, sur la pointe de la botte italienne.
Les Juifs l’appellent l’éthrog génois, car c’est par le port de Gênes que les fruits arrivaient au reste de l’Europe, et ce, depuis l’époque des Tossafistes au Moyen Âge.
Cet éthrog est recherché par les Hassidim de Loubavitch, de Gour ou de Satmar. En effet, Rabbi Chnéour Zalman de Liadi, fondateur de la Hassidouth Loubavitch, disait que lorsque les enfants d’Israël accomplirent la mitsva pour la première fois, ils le firent avec des fruits poussant dans les terres les plus fertiles au monde, soit les terres d’Italie, léguées à Edom par la bénédiction de Yits’hak/Isaac. C’est pourquoi ces maîtres hassidiques recherchaient particulièrement ces éthroguim calabrais.
Par la suite, lorsque la pratique des greffes se développa en Italie, une surveillance fut établie. En 1976, pour poursuivre la tradition de l’éthrog calabrais du rabbin de Loubavitch, Rabbi Eliahou Rivkin planta ce qui deviendra les vergers d’éthroguim de Kfar’ Habad, en Israël.
Cet éthrog est lisse, allongé, parfois en forme de tour, souvent sans pitam (stigmate). Son arôme est intense, l’albédo est doux, mais la pulpe acide. On en fait souvent des liqueurs.
Comme nous avons pu le voir, les variétés d’éthrog sont donc nombreuses, chacune avec ses particularités et la beauté qui lui est propre. Mais le plus intéressant de tout cela, c’est sans doute que, depuis leur implantation en Israël, ces variétés évoluent vers un commun dénominateur. L’éthrog Hazon Ich, assez laid à la base, il faut bien le reconnaître, devient plus beau, plus harmonieux chaque année. L’éthrog calabrais de Kfar ’Habad évolue lui aussi et commence à ressembler de plus en plus à l’éthrog Hazon Ich.
On ne peut s’empêcher de voir ici une puissante métaphore entre l’éthrog, symbolisant le cœur du Juif et l’évolution de notre peuple : exilé pendant 2000 ans aux confins de la terre, en Europe, en Afrique du Nord, voire au Yémen, il revient sur sa terre. Chacun revient avec sa culture, voire même sa physionomie. Mais avec le temps, comme ces éthroguim qui tendent à se ressembler de plus en plus, les nouvelles générations tendent à se fondre en un tout et à reconstituer une seule nation en pleine renaissance.