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Débattre sans se déchirer : le paradoxe du désaccord dans la tradition juive

Deux juifs, trois opinions. Qui n’a jamais entendu cette expression ? Cela vient du fait que dans la culture juive, la divergence d’opinions est considérée comme source de sagesse. Plus encore, les controverses sont souvent vues comme des occasions d'explorer et de clarifier les enseignements de la Torah, ainsi que d'approfondir la compréhension de la Halakha (la loi juive) et de la philosophie juive. Les débats sont également considérés comme des moyens de renforcer la communauté juive, en encourageant la participation active des membres dans la discussion et la réflexion.
Le paradoxe du désaccord

Il va de soi que la controverse doit être menée de manière respectueuse et constructive, en évitant le mépris ou les attaques personnelles. Les débats doivent être menés dans le but de trouver la vérité, et non pas de d’asséner des arguments. Les participants sont encouragés à écouter attentivement les opinions des autres et à considérer toutes les perspectives.

Il convient de distinguer la controverse (confrontation de points de vue pour arriver à la vérité) de la polémique (opposition d’idées dans le but de gagner). 

Ainsi dans le Talmud, les controverses sont souvent présentées sous la forme de discussions entre les Sages juifs, qui offrent différents points de vue sur un sujet donné. Ces discussions sont considérées comme un modèle pour la façon dont les débats devraient être menés au sein de la communauté juive.

En somme, dans le judaïsme, la controverse est considérée comme un moyen important de développer la compréhension de la Torah et de la loi juive, ainsi que de renforcer la communauté.

 

Une divergence d’opinions qui remonte à la nuit des temps

Dès la Genèse, la Torah pose la divergence d’opinions comme un fait. Le serpent tente de faire manger le fruit défendu à Ève en remettant en cause le commandement divin. Cela fonctionne,  puisque Ève en mange et en fait consommer à Adam. C’est la faute originelle.

Ce même mécanisme se retrouve deux mille cinq cents ans plus tard, lorsque Kora’h remet en cause la légitimité de Moïse et par conséquent la véracité de la Torah.

Néanmoins, au cours de l’Histoire du peuple juif, on découvre la notion de controverse au nom du Ciel. C’est-à-dire une divergence d’opinions légitime, voire même encouragée. Il s’agit de la recherche de la vérité sans concession. De fait, jusqu’au début de l’époque du second Temple de Jérusalem, on ne trouve aucune controverse de ce type dans les sources. Et pour cause, le peuple juif compte encore des prophètes. Il suffit donc de consulter les prophètes pour connaître la volonté de Dieu ou statuer la halakha (loi juive). 

C’est donc à partir du IVᵉ  siècle avant l’ère vulgaire qu’on trouve les premiers désaccords de ce type. La prophétie a disparu et les Sages doivent définir la Loi grâce à leurs connaissances et leurs capacités d’analyse et de déduction. Le premier désaccord survient entre Yossé Ben Yoezer et Yossef ben Yo’hanan. Ils sont tous deux des disciples de Simon le Juste, un des derniers représentants de la Grande Assemblée (Talmud ‘Haguiga 16a). Il est intéressant de remarquer que c’est à cette même époque que se développe l’empire grec et l’influence de la philosophie.

Au début, il n’y a donc de controverse que sur un seul point. Quelques dizaines d’années plus tard, Hillel et Chamaï, les deux dirigeants spirituels de l’époque, se retrouvent en désaccord sur quatre points. Puis, se multiplient les controverses entre leurs élèves respectifs, jusqu’à ce qu’ils se divisent en deux groupes distincts.
Dans son introduction à la Michna, Maïmonide explique ce mécanisme par un phénomène appelé “déclin des générations”.En effet, de par leurs connaissances, leur objectivité et leur force de raisonnement, Hillel et Chamaï ne sont en désaccord que sur des points très précis. Le reste de la loi juive est parfaitement clair pour eux. En revanche, leurs élèves ont eu des désaccords plus conséquents du fait de leurs connaissances moindres et d’une capacité de raisonnement inférieure.

Il convient de souligner que ceci n’entraîne aucune conséquence pratique. En effet, la Torah ordonne de s’en remettre “aux juges en fonction en ces temps-là” (Deutéronome 19, 17), c’est-à-dire aux Sages de chaque génération.

 

La définition de la controverse dans les sources rabbiniques 

Les Sages établissent clairement cette distinction entre ces deux types de controverses (Avoth 5, 17). Il semble même qu’ils ne se contentent pas d’une simple définition, mais qu’ils encouragent une divergence d’opinions qu’ils considèrent comme positive. Maïmonide souligne que celui qui émet un avis différent, non pas dans l’intention de contredire, mais uniquement pour connaître la vérité, voit ses enseignements perdurer. Un des rabbins contemporains, Rabbi ´Haïm Chmoulevitz, explique que lorsque les deux parties sont prêtes à écouter les arguments de l’autre et à changer éventuellement d’avis, c’est bien une controverse pour l’amour de la vérité. Kora’h en est le contre-exemple. Moché ne lui a jamais répondu mais a plutôt essayé de percer l’abcès. Malheureusement, Kora’h et ses partisans n’étaient pas prêts à l’écouter.

Dans le premier cas, chacune des écoles détient une certaine part de vérité. Comme il est dit dans Talmud : “celles-ci et celles-là sont les paroles du D.ieu vivant” (Erouvin 13b). On peut illustrer cela par l’allégorie suivante. Quatre aveugles sont placés sous un éléphant. Ils n’ont jamais entendu parler d’un tel animal. On demande à chacun de dire ce qu’il perçoit. Le premier touche le ventre de la bête au-dessus de lui. Il affirme être sous un chapiteau ou une tente en peau de bête. Le deuxième tâte la trompe et dit qu’il s’agit d’une sorte de tuyau. Le troisième touche la queue et dit que cela lui évoque un cordage. Enfin le quatrième s’appuie sur une des pattes en pensant se reposer sur un arbre. Il va même de patte en patte pour s’écrier que les autres n’ont rien compris : ils sont dans une forêt. Il est vrai qu’aucun d’entre eux ne détient la vérité absolue (l’éléphant). Néanmoins chacun a raison avec les éléments dont il dispose. Personne ne peut prétendre connaître la vérité divine. Mais les Sages connaissent un des aspects de cette vérité absolue, grâce aux éléments dont ils disposent.

Ce phénomène est d’ailleurs à la base de la controverse destructive. Un des maîtres de l’école de l’Éthique ou Moussar, le Rav Eliyahou Dessler, explique que voir le monde à travers des lunettes d’amour- propre est à la racine de ces maux. Les mauvais traits de caractères, comme la jalousie ou la recherche des honneurs, en sont donc la cause profonde (Mikhtav Mé- Eliyahou 3 – 332).  En d’autres termes, dans une dispute, il y a toujours au minimum deux personnes qui voient le monde de manière non objective. Il y a en effet au moins deux avis différents (Mikhtav Mé-Eliyahou tome 3 – p. 305).
Par ailleurs, lorsqu’il n’y aucune conséquence pratique, on ne parle pas de controverses mais tout simplement d’avis différents. Ceux-ci peuvent se compléter ou non, mais ils ne s’opposent jamais vraiment. Ainsi, chaque avis traite d’un aspect différent du même sujet.

Un autre passage du Talmud met en relief la puissance de la divergence d’opinions dite constructive. “Même le père et le fils, ou le maître et l’élève, qui étudient la Torah ensemble, deviennent ennemis l’un de l’autre et le restent jusqu’à ce qu’ils deviennent amis.” (Kidouchin 30b) Le célèbre commentateur français du Moyen- Age, Rachi, nous permet de relativiser cette expression “ennemis”. Cela signifie que chacun formule des objections au raisonnement de l’autre, sans aucune concession. Ils mettent en évidence les difficultés dans le raisonnement de l’un et de l’autre. Mais en fin de compte, ils deviennent “amis”, parce que grâce à cela ils arrivent à définir la vérité. 

Maintenant, nous comprenons qu’il puisse y avoir des avis différents. Mais si vous allez poser une question à un rabbin, une fois sur deux, il vous demandera : vous êtes achkenaze ou séfarade ? Pourquoi l’origine d’une personne définirait-elle son avis ? 

 

Achkenazes vs. Séfarades, la controverse institutionnalisée

Comme nous l’avons déjà expliqué, tous les Sages partagent au début un avis unanime ou, du moins, se plient à une autorité rabbinique incontestable. Le premier désaccord est la conséquence d’événements majeurs et de persécutions. La destruction du premier Temple par Nabuchodonosor, l’exil babylonien, la construction du deuxième Temple et la domination grecque ont eu des répercussions sur la transmission de la loi juive. Depuis, la situation ne fait que s’aggraver. Les Sages de la Michna ont assisté à la destruction du second Temple par les Romains et ont été exécutés ou exilés. Le Talmud s’est formé au cours des siècles qui ont suivi, en Erets Israël et en Babylonie. La Torah fut donc interprétée par chacun des maîtres locaux, parfois loin des autres Sages.

Il va sans dire que chacune de ces interprétations a son importance et bénéficie d’une approbation divine. Et c’est ainsi que la Torah donna naissance à plusieurs courants de pensée. En général, on classe ces  différentes écoles en deux grandes catégories. D’un côté les Achkenazes (polonais, hongrois, lituaniens, russes, allemands et autres communautés occidentales). De l’autre les Séfarades (marocains, tunisiens, algériens, libanais, turcs, irakiens,iraniens, yéménites et autres communautés orientales). Le terme achkenaze signifie Allemagne dans la tradition juive, c’est en effet le principal point de départ de ces communautés. Et celui de séfarade signifie Espagne, puisque que  c’est le plus grand centre de communautés juives à l’époque médiévale.

Enfin, on peut souligner que la différence des climats, des lieux géographiques et même des cultures environnantes a influencé sans aucun doute le mode de pensée de chacune de ces communautés.

Il semble clair maintenant que la divergence d’opinions peut être constructive si elle s’inscrit dans une recherche de la vérité par toutes les parties. Lorsqu’elle est dénuée d’intérêts personnels, elle est même encouragée. Cependant, si ces deux conditions ne sont pas remplies, la controverse est destructrice comme un feu qui consume tout sur son passage pour reprendre la formulation des Sages du Talmud.

Les différents avis ou les coutumes diverses sont donc le fruit d’une Histoire pleine de rebondissements. Ce sont autant de témoignages du vif intérêt porté à la loi juive en toute circonstance et en tout lieu. C’est ainsi que se sont formés les deux grandes communautés mères, achkenaze et séfarade.

 

Concluons avec le message porté par Rav Papa. Les dix fils de ce célèbre Amora (Sage du Talmud) sont eux aussi devenus des maîtres du Talmud. Ils sont d’ailleurs cités à chaque fin d’étude de traité (Siyoum Massékheth). La raison que l’on donne à cela est que Rav Papa s’est toujours efforcé de faire la paix entre les différents avis. Cela se retrouve tout au long des différents traités. Ainsi, en faisant cohabiter les différents avis, il a eu le mérite d’avoir des fils bâtisseurs d’éternité.

 

Annexe 1 –  Babylone vers la Méditerranée

Vers l’an 1035 de l’ère vulgaire, le Calife de Cordoue Abd al-Rahman III dépêche une flotte pour attaquer d’autres navires et capturer des villes voisines. Durant leur périple, ils croisent un bateau à bord duquel voyagent quatre grands sages.

Il s’agit de Rabbi ‘Houchiel, Rabbi Chémaria, Rabbi Moché avec son fils, et un quatrième dont l’identité est incertaine.

Le commandant ordonne l’abordage de ce bateau et fait prisonniers les sages. Ceux-ci gardent leur identité secrète pour ne pas faire augmenter une éventuelle rançon en échange de leur liberté.

C’est à ce moment-là que ces Sages jouent un rôle primordial dans l’établissement des académies talmudiques dans le bassin méditerranéen.

Le commandant vend Rabbi Chémaria à Alexandrie en Égypte. Celui-ci devient par la suite un des dirigeants de la communauté juive.

Rabbi Ḥouchiel est ensuite en Afrique du Nord. Celui-ci réussit à se rendre dans la ville de Kairouan, une des plus grandes villes du Maghreb. Il y devient le maître de la communauté. Son fils Rabbénou ‘Ḥananel est un des plus réputés Maîtres du Moyen Âge.

La flotte fait ensuite escale à Cordoue. Rabbi Moché y est vendu avec son fils. Les habitants de Cordoue ne soupçonnent pas l’identité de ces deux personnages. Cependant, le rabbin de la communauté se rend compte très rapidement de l’érudition de Rabbi Moché. Il déclare sur le champ qu’il lui cède la fonction de rabbin de la communauté. En apprenant cela, le commandant veut annuler la vente. Cependant, le roi ne le lui permet pas. Il se réjouit d’apprendre que les Juifs de son royaume ne dépendent plus des sages babyloniens. La nouvelle se répand dans toute l’Espagne et le Maghreb. Des élèves affluent en masse pour y étudier. Toutes les questions que l’on posait habituellement aux académies talmudiques lui sont désormais soumises.

(tiré du Séfer Hakabbala, Rabbi Avraham Ibn Daoud)

 

Annexe 2 – Pourquoi tous les séfarades ne sont pas originaires d’Espagne ?

Dans la tradition juive, le terme séfarade fait référence à l’Hispanie. Dès lors, les juifs descendants des communautés installées en Espagne et au Portugal et expulsées lors de l’Inquisition. Certaines de ces communautés se sont installées dans la région dès le premier Temple de Jérusalem. Elles ont entretenu des liens très étroits avec les grands centres de Torah au proche et au moyen orient. Le Talmud cite le célèbre Rabbi Akiva qui témoigne avoir voyagé en Gaule (Roch Hachana 26a). C’est juste à la période de la destruction du second, au début de l’ère vulgaire.

L’ancien grand rabbin d’Israël, le rav Ovadia Yossef, propose une autre explication pour l’appellation sépharade. Un jour, il rencontre l’ancien roi d’Espagne Juan Carlos à Madrid. Celui-ci lui demande s’il y a beaucoup de juifs espagnols (séfarades). Le rabbin lui répond qu’ils composent environ la moitié du peuple juif. Le roi lui demande si toutes ces personnes sont descendantes de juifs espagnols. Le rabbin lui répond que non. En fait, toutes ces communautés ont en commun d’avoir accepté de trancher la loi comme Moïse l’Espagnol, c’est-à-dire Maïmonide qui est originaire d’Espagne. Cela explique pourquoi des communautés comme les yéménites sont appelées séfarades alors que d’après la tradition elles sont installées au Yémen depuis la destruction du premier Temple.

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