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S.R. Hirsch : Torah im derekh erets

En 1791, dans la foulée de la Révolution, les juifs français obtiennent la citoyenneté, la liberté de résidence, la liberté de culte et le droit d’exercer tous les métiers et d’accéder à l’instruction. Puis l’émancipation se propage dans toute l’Europe, les portes du ghetto s’ouvrent, et une grande partie du peuple juif, ivre d’une liberté si longtemps déniée, se précipite à l’extérieur.
Rav Hirsch

C’est ce qu’on a appelé le mouvement de la haskala, qu’on peut traduire par acquisition de la connaissance, accès à la raison (sékhel), ou encore éveil intellectuel. Toutes choses belles et bonnes, n’est-ce pas ? À moins que…

Cette surexcitation intellectuelle ne va pas tarder à se manifester sous la forme d’une laïcisation partielle de la pensée juive et d’une intégration accrue à la société environnante, qui vont déboucher sur le mouvement de la Réforme. Celle-ci ne considère plus la halakha comme absolue et contraignante, mais comme devant s’adapter aux réalités contemporaines. Ainsi, on introduit l’orgue dans les synagogues (à la manière des églises chrétiennes), on utilise la langue vernaculaire dans les prières au lieu de l’hébreu, on réduit certains rituels considérés comme archaïques et on abandonne la notion de retour en Terre Sainte. Toutes ces innovations tendent à réduire la distance perçue entre le « Juif moderne » et son voisin non-juif, mouvement dont la dynamique interne débouche bien évidemment sur l’assimilation, d’ailleurs considérée par certains comme souhaitable.

C’est à ce contexte que les autorités orthodoxes de l’époque vont réagir avec virulence. À Presbourg, l’autorité du ‘Hatam Sofer (Rabbi Moché Schreiber) s’étend bien au-delà de la Hongrie, et il réplique à la « modernité éclairée » revendiquée par la Réforme par la formule lapidaire ‘hadach assour min HaTorah, littéralement « ce qui est nouveau est interdit par la Torah » (jeu de mot portant sur une certaine halakha concernant les récoltes). Toutes ces innovations sont interdites, parce qu’elles mettent en danger l’existence même du peuple juif en tant que tel. En réalité, il ne s’agit pas d’un rejet systématique de toute évolution, mais plutôt des nouveautés inspirées par des influences étrangères ou assouplissements sans base halakhique solide. Il accepte toutefois les développements internes, ainsi que les adaptations nécessaires à la survie du judaïsme (médecine, technologie si conforme à la halakha). Sa réputation de « fermeté absolue » vient surtout de sa lutte contre la Réforme, mais sa pensée halakhique était plus nuancée.

En Allemagne, la situation était quelque peu différente. Les Juifs allemands voyaient dans la Réforme un moyen de s’intégrer dans la bourgeoisie cultivée, si bien que le mouvement, beaucoup plus étendu qu’en Hongrie, était soutenu par les élites juives urbaines. Leur attitude était plus modérée envers la tradition, ce qui augmentait encore leur influence. La majorité des Juifs allemands se trouvaient dans des communautés influencées par la Réforme (au moins dans leur liturgie ou dans leurs institutions), mais l’idéologie de la Réforme était le fait d’une minorité intellectuelle qui n’était pas vraiment majoritaire au plan social. L’ensemble du peuple était plutôt favorable aux réformes liturgiques et autres, mais sans hostilité envers la tradition.

 

Le Rav Shimshon Raphaël Hirsch

C’est dans ce contexte que naît en 1808 à Hambourg celui qui deviendra le Rav Shimshon Raphaël Hirsch, dans une famille traditionnelle mais ouverte aux idées nouvelles. Il étudie la Torah auprès du Rav Jacob Ettlinger, rabbin orthodoxe de haut niveau, tout en étudiant la philosophie et la philologie à l’université de Bonn. Il est très tôt interpellé par la montée du judaïsme réformé, et prend immédiatement position dans son premier ouvrage publié, intitulé « Dix-neuf lettres sur le judaïsme ». Il s’agit d’un dialogue entre un étudiant se posant beaucoup de questions et un Maître qui lui répond en exposant une vision du judaïsme comme système de vie cohérent, porteur d’une mission éthique et spirituelle pour l’humanité. Il y défend la Torah comme constituant une réponse profonde à la modernité, sans qu’il y ait nécessité de la modifier. Le livre eut un grand succès auprès d’une jeunesse à qui il présentait un judaïsme intellectuellement profond et spirituellement riche dans un langage moderne.

En 1838, il devient rabbin de la communauté d’Oldenburg, puis en 1846 il accepte le poste de Grand Rabbin de Nikolsburg (Moravie), qui avait une forte tradition talmudique et orthodoxe, et où il consolide son autorité rabbinique et éducative. C’est à cette période qu’il édite « ‘Horev », un grand traité systématique sur les mitsvot, et surtout son commentaire sur la Torah, qui allie une analyse très fine des racines hébraïques et une approche profondément originale. Ce commentaire est écrit en allemand (grande nouveauté pour l’époque). Il a également commenté le livre des Psaumes, ainsi qu’une partie du livre des Proverbes.

Malgré l’épanouissement intellectuel qu’il connaît à Nickolsburg, il s’y trouve confronté à deux forces opposées mais toutes deux hostiles. D’une part, les juifs traditionalistes voyaient d’un mauvais œil ses vues modernes, notamment sur l’éducation laïque générale, qu’il estimait enrichissante pour la personnalité, à condition qu’elle soit subordonnée à la Torah. Mais par ailleurs, les juifs plus libéraux étaient hostiles à sa rigueur halakhique qu’ils estimaient néfaste et dépassée. C’est pourquoi il prend en 1851 la décision de quitter ce poste, pourtant prestigieux, pour accepter l’invitation d’un petite communauté de Francfort, où il espère pouvoir développer sans entraves le modèle, novateur à l’époque, d’une communauté orthodoxe totalement fidèle à la Torah tout en étant relativement ouverte vers le monde extérieur.

 

Torah im derekh erets

C’est là, à Francfort, qu’il va pouvoir donner toute sa mesure. À l’époque, en Allemagne, il y avait dans chaque ville une seule communauté juive officielle, reconnue par l’État comme représentante officielle de tous les Juifs de la localité. Tous en étaient membres et devaient payer l’impôt communautaire (pour les écoles, le rabbin, les œuvres sociales, etc.). Or au XIXème siècle, ces communautés s’orientaient progressivement vers le judaïsme réformé ou libéral, surtout dans les sphères dirigeantes, au grand dam des juifs orthodoxes qui n’acceptaient pas les réformes imposées par ces derniers.

Le Rav S.R. Hirsch n’avait accepté ce poste qu’à la condition de pouvoir construire une communauté orthodoxe indépendante, même sans reconnaissance officielle immédiate. Il a donc fait dissidence, mais cet état de fait a mis plus de vingt ans de lutte à être consacré légalement, période pendant laquelle les membres ont dû continuer à payer l’impôt communautaire à la communauté générale, tout en ayant la charge de leurs propres institutions.

C’est dans ce cadre qu’il va mettre en œuvre son approche novatrice : une orthodoxie qui combine fidélité absolue à la halakha avec engagement dans la culture et la société modernes. Ainsi, il fonde des écoles juives où les matières profanes sont enseignées à côté de l’étude des textes sacrés, il rédige de nombreux écrits en allemand pour rendre la Torah accessible au public cultivé juif germanophone. C’est un rabbin charismatique, un enseignant hors pair et un guide spirituel très influent, particulièrement contre l’assimilation.

En 1854, le Rav Hirsch publie un essai intitulé Torah im derekh erets, dans lequel il expose sa vision du judaïsme : une fidélité totale à la Torah et à la halakha, combinée à une ouverture raisonnée à la culture générale, à la science, à la langue allemande, à la société moderne, mais sans compromis envers celles des valeurs du monde moderne qui sont contraires à la Torah.

Il n’a pas inventé ce terme, qui figure dans Pirkei Avot (Les Maximes des Pères) sous la forme יפה תלמוד תורה עם דרך ארץ, c’est une bonne chose d’allier l’étude de la Torah avec « dérekh erets », ce qui peut désigner ou le fait de travailler pour gagner sa vie, ou une façon agréable de se comporter, ou plus vaguement, la vie dans le monde environnant. Mais c’est lui qui en a fait une philosophie éducative et communautaire.

 

Fermer d’une main et ouvrir de l’autre

Après sa mort, certains disciples ont pris Torah im derekh erets comme une formule beaucoup plus souple qu’il ne l’aurait souhaité, alors que dans ses écrits, il n’y a place à aucun doute : il ne s’agit pas d’absorber la modernité pour elle-même, mais de l’utiliser comme un outil au service de la Torah. Selon son petit-fils, le Dr. Isaac Breuer, la philosophie de Torah im derekh Erets ne visait pas à créer un compromis entre la tradition juive et la modernité, mais plutôt à s’assurer que la Torah demeure souveraine dans tous les aspects de la vie. Dans ses propres termes : « Le monde de Hirsch était un monde de lutte, contre la Réforme, contre la tiédeur de l’orthodoxie, contre l’indifférence des masses. (…) Torah im Derekh Eretz n’était pas pour lui un compromis, mais un cri de combat » ou encore : « L’émancipation n’est ni une « divine surprise » ni une œuvre satanique. Elle peut être bénédiction comme elle peut être malédiction. Elle sera malédiction si, à la façon des réformateurs, on y voit la fin de l’exil, le but et le terme du rôle historique d’Israël, la fin de toute raison d’être d’une nation et d’une législation juive ; elle sera bénédiction, si on la considère comme (…) une porte ouverte vers un meilleur accomplissement des impératifs de la Torah. Il n’est d’ailleurs pas anodin de constater que chez le Rav Hirsch, une certaine ouverture vers le monde extérieur (usage de la langue vernaculaire, études profanes) n’a pu se développer qu’à l’intérieur d’une communauté orthodoxe délibérément fermée et séparée de la communauté juive environnante, et dans une opposition véhémente à toute innovation risquant de mener à l’assimilation.

En un mot, nous lui devons la preuve que l’on peut être orthodoxe sans être obscurantiste, moderne sans être assimilationniste et fidèle à la Torah tout en parlant le langage du monde contemporain. Ce sont des notions qui nous paraissent aujourd’hui évidentes, mais qui ne l’ont pas toujours été. Il y a peu de temps encore, on n’avait le choix qu’entre s’enfermer dans des ghettos religieux sans dialogue avec la société, ou dissoudre sa judéité dans la Réforme, qui supprimait les obligations halakhiques, et dans l’assimilation. Le Rav Hirsch nous a rendu ainsi l’horizon universel de Maïmonide, qui ne rejetait pas la modernité, mais voulait au contraire équiper les Juifs pour qu’ils puissent y vivre sans abandonner leur foi ni leur rigueur, comme il se dégage de l’ensemble de son œuvre.

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