Mais certains ont réussi à faire entrer l’Amérique toute entière dans la ronde de leur propre toupie. Jeffrey Alan Hoffman, astrophysicien américain et astronaute de la NASA, s’est imposé comme un véritable pionnier en emportant avec lui des objets religieux et culturels juifs dans l’espace extra-atmosphérique. Parmi ses contributions les plus emblématiques à l’histoire culturelle juive figure ce moment inoubliable où il fit tourner une toupie (dreidel) dans l’espace lors de ´Hanouka 1993, un geste qui a fasciné des millions de personnes, juives comme non juives, et lui a permis de partager le message de ´Hanouka dans une rencontre surprenante entre héritage juif et exploration spatiale.
L’homme et son parcours
Né le 2 novembre 1944 à Brooklyn, New York, Hoffman a par la suite considéré Scarsdale, dans le même État, comme sa ville de cœur. Son parcours académique est brillant : titulaire d’un Bachelor of Arts en astronomie du Amherst College, il a obtenu un doctorat en astrophysique à l’Université Harvard ainsi qu’un master en science des matériaux à l’Université Rice. Avant de revêtir la combinaison d’astronaute, il menait des recherches pointues en astrophysique des hautes énergies au MIT, travaillant notamment sur l’astronomie des rayons gamma et des rayons X.
Sélectionné par la NASA en janvier 1978, il devient officiellement astronaute en août 1979. Au fil de ses cinq missions en navette spatiale, il a accumulé plus de 1 211 heures dans l’espace et parcouru la distance vertigineuse de 34,6 millions de kilomètres (21,5 millions de miles). Il fut le second astronaute juif de la NASA, une distinction qui allait façonner une grande part de son aura.
La mission historique : STS-61 (décembre 1993)
Le moment mémorable de Hoffman avec sa toupie survint lors de la mission STS-61 en décembre 1993, alors qu’il volait à bord de la navette Endeavour en tant que membre d’équipage chargé des sorties extravéhiculaires (EVA). Il s’agissait de la toute première mission de réparation du télescope spatial Hubble, une opération qui demeure aujourd’hui encore l’une des plus célèbres de l’histoire spatiale.
Lancé en 1990, le télescope spatial Hubble avait révolutionné l’astronomie en permettant l’observation sans entraves atmosphériques: il a ainsi a prouvé l’existence de trous noirs supermassifs au cœur des galaxies, cartographié la matière noire et analysé les atmosphères d’exoplanètes.
L’histoire derrière la toupie
La toupie elle-même avait une origine toute particulière. Lors d’un voyage en Israël l’année précédente, Hoffman avait rencontré des artistes juifs de Jérusalem qui lui avaient offert une toupie en argent absolument magnifique ainsi qu’une ménorah. Il décida alors d’emporter ces deux précieux objets avec lui dans l’espace.
Bien entendu, allumer la ‘Hanoukia dans la navette spatiale était impossible pour des raisons de sécurité, mais rien n’empêchait de jouer à la toupie et de profiter de ces conditions uniques. Selon les propres dires de Hoffman, il n’avait initialement pas prévu d’en faire une démonstration publique. Cependant, lors d’une demi-journée de pause dans les travaux de réparation de Hubble, il prit un moment pour se reposer et se détendre. Il sortit la toupie de ses affaires et commença à la faire tourner dans cet environnement de microgravité. Soudain, un coéquipier l’informa que la caméra de télévision était allumée et diffusait en direct vers la Terre. Une voix du centre de contrôle se fit alors entendre : « Jeff, toute l’Amérique aimerait savoir ce que tu es en train de faire. »
La suite appartient à la légende : Hoffman fit tourner la toupie pendant près d’une heure en apesanteur, la regardant virevolter sans jamais s’arrêter. Ces images ont connu un retentissement incroyable et sont devenues une véritable sensation médiatique.
Expliquer ‘Hanouka à l’Amérique
Plutôt que de simplement divertir le public, Hoffman saisit cette occasion unique pour éduquer des millions d’Américains sur la signification de ‘Hanouka et de l’héritage juif. Il expliqua la portée historique et religieuse de la fête, reliant l’ancien récit des Maccabées à ce moment de célébration contemporain, là-haut, dans l’espace. Ce moment pédagogique spontané est devenu l’une des diffusions les plus mémorables d’une mission spatiale.
Des artefacts juifs dans l’espace
L’engagement de Hoffman à porter la culture juive en orbite ne s’est pas arrêté à la toupie. Au cours de ses missions, il a emporté plusieurs autres objets juifs importants dans l’espace.
Une Mezouza qu’il fixa sur la couchette de la station spatiale qu’il partageait avec son collègue astronaute juif, Scott J. Horowitz. Même si l’on peut s’interroger sur la validité halakhique d’un tel emplacement, l’intention positive est évidente.
Un petit rouleau de la Torah (lors de sa dernière mission, STS-75, en février 1996) : lors de cette mission, il devint le premier astronaute à lire la Torah en hébreu depuis l’espace. Il lut un passage du livre de Beréchith / Genèse, évoquant la création du monde. Ce Sefer Torah était absolument kacher, une mini-Torah spécialement commandée qui respectait toutes les exigences halakhiques.
Un impact profond
Hoffman a réfléchi au sens profond de ces gestes, déclarant que les artefacts juifs qu’il avait emportés dans l’espace « revêtent de nombreuses significations pour beaucoup de gens différents ». Il a noté avoir été « très ému au fil des ans, d’entendre des gens dire que c’était un geste si beau d’avoir fait cela ».
Plus tard, en tant que professeur au MIT, Hoffman a écrit et parlé de ses expériences spatiales. Il a décrit les dimensions spirituelles du vol spatial, soulignant que voir la Terre depuis l’espace offre une perspective profonde sur la grandeur de l’univers et la place de l’humanité en son sein. Il a fait remarquer que « notre rôle y est très modeste » vu d’en- haut, et que la Terre est remarquablement spéciale dans sa capacité à abriter la vie. La grandeur du scientifique se révèle dans son humilité lorsque, confronté à la sagesse infinie du Créateur, il prend conscience des limites humaines.
Héritage et distinctions
Hoffman a quitté le programme des astronautes en juillet 1997 pour devenir le représentant européen de la NASA à Paris, avant de rejoindre le MIT en tant que professeur au département d’aéronautique et d’astronautique.
En 2007, Hoffman a été intronisé au Astronaut Hall of Fame, en reconnaissance de ses contributions à l’exploration spatiale mais peut être aussi pour avoir porté le message spirituel juif jusque dans le cosmos.
L’épisode de la toupie demeure un des moments emblématiques réunissant l’histoire juive et l’exploration spatiale. On ne peut s’empêcher de le relier au verset du prophète Isaïe (40,26): “Levez vos yeux vers le firmament, et voyez Mi qui a créé Élei « tout cela”. Derrière toute la multiplicité du monde, le Élei, se cache un Mi, une source unique. Cette source apparaît lorsque vous unissez les lettres de Mi et Élei, qui forment le nom Elokim, le nom de D’… Si en plus vous remarquez que la valeur numérique de Élei est de 36, soit le nombre total de bougies allumées à ‘Hanouka (hors le chamach utilitaire), vous aurez… des étoiles dans les yeux !







