Pourquoi ont-ils choisi d’écouter leur conscience, alors que leur voisin, étouffant la sienne, aura, lui, décidé de dénoncer une famille entière pour 3 kilos de sucre ?
Leur éducation religieuse aura-t-elle fait le poids?
Pas obligatoirement. D’autres n’interprétèrent pas leur catéchisme de la même façon.
Leurs valeurs humaines ?
Mmm… De grands écrivains, qui décrièrent si bien la guerre et ses maux, furent parmi les plus beaux scélérats de la collaboration, se débarrassant d’un collègue trop encombrant qui faisait de l’ombre à leur carrière.
Alors leur statut social ?
Certainement pas. On a trouvé des « bons » et des « mauvais » à tous les niveaux socio-économiques.
On se rappelle de la mère du prince Philippe, Alice de Battenberg, qui cacha une famille juive dans sa résidence d’Athènes, prétextant sa surdité pour éviter d’ouvrir à la Gestapo qui venait les arrêter…
Et le contraire.
Des diplomates haut placés, des hommes de pouvoir et de politique, ont usé et abusé de leur influence pour accélérer la machine d’extermination nazie.
Paul Grüninger
Ce qui est sidérant chez ce bon policier suisse, c’est à quel point il n’était pas destiné à devenir ce qu’il fut.
Grüninger se rend chaque jour à son poste, à la frontière entre Saint-Gall et l’Autriche, et comme de coutume en Suisse : rien à déclarer !


On boit un petit coup, on rigole entre collègues, et oups, un appel : le citoyen Blocher de la Bahnofstrasse a bu un verre de trop et fait des siennes : on monte sur un vélo et on va s’en occuper.
Langsam, langsam, rien ne presse.
Mais la guerre éclate et la gendarmerie saint-galloise devient un pont et un point stratégique, par lequel des Juifs en errance vont tenter de pénétrer.
Et Grüninger, pétri depuis l’enfance des valeurs de l’Helvétie, imprégné dans son éducation familiale et ses codes sociaux des diktats du Ministre Spirituel de la Suisse, cette entité abstraite qui, disent nos Sages, est préposée à chaque peuple et définit son caractère spécifique, va décider de résister.
Il sort alors de son destin, celui du fonctionnariat, de l’obéissance aveugle à l’ordre, de l’obtempération à la notion même de « supérieur ».
Comme Avram, qui, pour devenir Avraham, avait dû sortir de sa détermination astrologique, tout homme de quelque origine qu’il soit, peut aussi, on le voit, échapper à sa prédestination.
Le gendarme s’extrait de sa coque naturelle, comme un minéral précieux de sa mine, comme une pépite d’or de sa rivière – si confortable – et héroïquement sort de la boîte à penser et à vivre qui l’a formaté depuis 50 ans, pour devenir tout simplement… un homme.
C’est-à-dire un être sublime et libre, « créé à l’image de D.ieu ».
Quand on le félicitera, 25 ans plus tard, déjà retraité, lui qui avait perdu honneur et emploi, il s’étonnera : « Mais comment aurais-je pu faire autrement ? »


Cher Paul, d’autres gendarmes, de vos collègues, ont refoulé des innocents à leur mort, sans trop de scrupules…
Yvonne, la gardienne du Paradis
Yvonne, française de souche et, du plus loin qu’elle s’en souvienne, bretonne et auvergnate de ses deux parents, est la concierge depuis 20 ans du numéro 6 de la rue de Turenne.
Au troisième étage, il y a une jolie petite famille, et elle sait qu’ils sont juifs.
Quand la milice, le 15 juillet 1942, se présente devant l’immeuble et la questionne, elle peut « vendre » la famille, avec un battement de cil, avec une moue au coin des lèvres, avec un regard appuyé et entendu. Avec moins que ça, d’autres ont envoyé des familles entières à l’Est…
Elle, elle contrôle chacun de ses mouvements, et va jouer l’ingénue, mieux qu’à la Comédie.
« Au 3ème, vous dites ? Ils ne sont plus là depuis un bail, mon brave homme. Oui, oui, je vois de qui vous parlez. Lui, brun avec des lunettes en écaille. Elle, jolie, 35 ans, toujours souriante et soignée. Avec deux enfants. Plus vus depuis au moins 3 mois. L’appartement est vide. »
À peine les deux miliciens éloignés, ayant précisé qu’ils reviendront avec du renfort et que, si elle a menti, son compte est bon, elle monte les 3 étages en soufflant pour les avertir.
De justesse.
Elle les aura sauvés.


Aristides de Sousa Mendes
Ce portugais de famille aristocrate, catholique pratiquant, consul général de son pays, se trouve être en poste à Bordeaux pendant la Seconde Guerre mondiale, alors que des milliers de réfugiés affluent vers la ville.
Il voit, sous les hautes fenêtres de l’ambassade, la débâcle des familles, le désespoir, l’attente, les baluchons, les bébés qui pleurent, les regards hagards : en l’espace d’une nuit, ses proches témoigneront que ses cheveux deviendront blancs.
Il est lui-même père de 14 enfants, et prépare alors son bureau à une immense opération de sauvetage.
Inspiré par une conversation avec le rabbin Jacob Kruger, il contreviendra à l’ordre de son gouvernement, qui interdisait l’octroi de visas aux réfugiés juifs et autres personnes ciblées.
Comme Sugihara au Japon, il tamponne, tamponne, tamponne…


Il délivre alors, avec l’aide de ses propres enfants et de volontaires, environ 30 000 visas, dont 10 000 à des Juifs, permettant à ces personnes de traverser l’Espagne et de trouver refuge au Portugal.
En raison de ses actions, Sousa Mendes est rappelé au Portugal, démis de ses fonctions et privé de ses moyens de subsistance.
Il meurt dans la pauvreté en 1954 et ne sera réhabilité à titre posthume par son gouvernement qu’en 1988.
Portugais, suisse, français.
Princesse et concierge.
Riche et pauvre.
Le seul dénominateur commun de ces hommes et femmes qui firent le Bien, est qu’ils furent à l’écoute de la délicate vibration de leur âme, et qu’ils suivirent la direction que la fine aiguille de leur conscience leur indiquait.
En hébreu – la langue première et sainte – on remarquera que conscience et boussole viennent de la même racine : matspoun et matspen.
Ils ont tous eu le CHOIX d’entendre, ou alors de faire taire cette voix ténue qui murmurait en eux.
Et ils ont décidé de l’écouter, fine et douce musique de leur âme.
C’est cette mélodie qui aura fait toute la différence…