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Hanouka : une séparation fondatrice d’avec la culture grecque

Hanouka

Quand la guerre s’efface devant la lumière

‘Hanouka aurait pu être la commémoration d’une victoire militaire spectaculaire. Tout y est, en effet, dans cette épopée hors du commun : une poignée de résistants sans moyens, les ‘Hachmonayim — surnommés les Makabim — défiant le rouleau compresseur qu’était l’empire grec ; une victoire inespérée, la reconquête du Temple, le rétablissement d’une souveraineté juive sur la terre d’Israël après des siècles de domination étrangère. Mais nos Sages, pourtant, ne célèbrent dans le Talmud (traité Chabbath 21b), ni la bravoure des combattants ni la stratégie adoptée pour mener leurs batailles. Ils posent une question déroutante : « Qu’est-ce que ‘Hanouka ? » Et leur réponse surprend encore davantage : il n’est plus question d’armes ni d’héroïsme, mais d’une flamme — ou plutôt de l’huile qui permit à cette flamme d’exister ; d’une simple fiole demeurée pure au milieu des ruines, capable d’éclairer huit jours alors qu’elle ne contenait de quoi brûler qu’un seul.

C’est ce miracle, discret mais incandescent, qui devient le cœur de la fête. Nous ne brandissons pas d’étendards : nous allumons des bougies. Nous ne célébrons pas la victoire par des chants de guerre, mais par la lumière fragile d’une ‘hanoukia posée sur un rebord de fenêtre. Nous mangeons des beignets dorés non pour rappeler le sang versé, mais l’huile pure miraculeusement retrouvée contre toute attente. Étrange renversement : la guerre s’efface, la lumière triomphe. Pourquoi ? Pourquoi glorifier la clarté d’une flamme plutôt que le courage des hommes ?

Pour le comprendre, il faut revenir à la scène originelle. Lorsque les ‘Hachmonayim purifient le Temple profané, ils cherchent de l’huile pour allumer la Ménorah. Dans toute la ville de Jérusalem souillée aux pieds des Grecs, ils ne trouvent qu’une seule fiole, scellée du sceau du grand prêtre — symbole d’une pureté préservée malgré la profanation. Le miracle ne réside donc pas seulement dans la durée surnaturelle de la combustion, mais dans la découverte même de cette trace intacte, dans la survie d’une lumière possible au cœur de la désolation.

Certes, la liturgie ne passe pas sous silence la victoire militaire : « Tu as livré les puissants entre les mains des faibles, les nombreux entre les mains du petit nombre… » récite-t-on dans ‘Al ha-Nissim. Mais même là, c’est D.ieu qui agit, non l’homme qui triomphe. Nos Sages mettent en avant un détail qui semblait secondaire pour en faire le centre du récit. Le véritable miracle n’est pas la victoire, mais l’illumination. ‘Hanouka n’exalte pas la force des héros, elle célèbre la persistance de la clarté — cette lumière obstinée qui, depuis, ne cesse de défier la nuit.

Reste alors cette question, brûlante comme la flamme qu’elle évoque : pourquoi avoir presque effacé la trace de la victoire des Makabim — cette révolte héroïque, ce courage insensé face à l’Empire grec — pour ne retenir qu’un miracle symbolique, celui d’une petite fiole d’huile ? Pourquoi nos Sages ont-ils préféré conserver en mémoire l’éclat silencieux de la lumière à la gloire éclatante de la guerre, pourtant tout aussi miraculeuse ?

 

Quand la guerre devient une défaite morale

Cette discrétion s’inscrit dans une tradition rabbinique ancienne, qui voit la guerre non comme une gloire, mais comme un échec de la parole et de la paix. À de nombreuses reprises, nos sources montrent combien la violence armée a été redoutée, contenue ou sublimée dans une lecture morale exigeante. Lors du siège de Jérusalem par les Romains, RabbiYo’hanan ben Zakkaï choisit de négocier plutôt que de résister, cherchant à sauver la Torah et la survie du peuple plutôt qu’à défendre la ville au prix d’un massacre. Dans le Michné Torah (Hilkhoth Melakhim 6:1), le Rambam/ Maïmonide prescrit qu’avant toute guerre, un roi d’Israël doit d’abord proposer la paix — signe que même la guerre de mitsva doit passer par la diplomatie et la retenue. Et David lui-même, modèle du roi juste et courageux, se voit refuser le droit de construire le Temple parce qu’il a versé le sang, fût-ce pour des causes justes : « Tu ne bâtiras pas de Maison pour Mon Nom, car tu as versé beaucoup de sang sur la terre devant Moi » (I  Divrei ha-Yamim / Chroniques 22, 8).

Maïmonide va plus loin encore : il compare la conquête militaire de la terre d’Israël par Yéhochoua à la réinstallation pacifique menée des siècles plus tard par Ezra et les membres de la Grande Assemblée. La première, dit-il, n’a sanctifié la terre que de manière temporaire, car fondée sur la force des armes ; la seconde, accomplie sans recours à la guerre, a conféré à la terre une sainteté éternelle, car issue du consentement du peuple et de la parole des Sages (Hilkh. Teroumoth 1:5). Ainsi, dans la perspective du Rambam, la véritable conquête n’est pas celle du glaive, mais celle de la Torah — conquête spirituelle où la paix et la présence divine trouvent un ancrage durable.

La tradition juive n’a donc jamais idéalisé la guerre. Elle en reconnaît la nécessité à certains moments, mais toujours comme un moyen contraint, jamais comme une vertu. Et pourtant, ‘Hanouka fait exception. Cette fois, ce ne sont ni des rois ni des soldats, mais des prêtres — les Kohanim, hommes de paix et de service divin — qui prennent les armes. Un geste radical, presque scandaleux dans la logique rabbinique. Pourquoi donc cette transgression ? Que s’est-il passé pour que les gardiens de la lumière deviennent, le temps d’un combat, les porteurs de l’épée ?

 

Quand la Grèce s’engouffre dans le silence de D.ieu 

Il nous faut ici recadrer un peu plus l’épisode de ‘Hanoukka dans son contexte historique. 

À l’époque d’Alexandre le Grand, vers 332 avant notre ère, un tournant décisif s’opère au Proche-Orient. Le jeune conquérant macédonien, après avoir renversé l’empire perse, descend vers le sud, prenant Tyr et Gaza avant de poursuivre vers l’Égypte. Sur sa route se trouve la Judée, province modeste mais hautement symbolique, dépositaire d’une foi unique et d’un peuple attaché à sa Loi.

Le Talmud (Yoma 69 évoque alors une scène saisissante Chimon ha-Tsadik, dernier des membres de la Grande Assemblée, sort à la rencontre du roi. Non pas pour lui opposer une résistance vaine, mais pour le saluer, vêtu des habits du Grand Prêtre. À la stupeur des généraux, Alexandre descend de son char et se prosterne devant lui, expliquant qu’avant chaque victoire, c’était ce visage-là qu’il voyait en rêve — le visage d’une force morale, d’une sagesse supérieure à la sienne.

Mais ce rapport positif va progressivement basculer — et c’est là un tournant spirituel décisif dans l’histoire d’Israël. Le Talmud raconte qu’à cette époque, les membres de la Grande Assemblée, dont Chimon haTsadik était le dernier représentant, prièrent pour que soit aboli le yétser ha-ra de l’idolâtrie — cette force intérieure qui poussait les hommes vers les cultes païens. Leur prière fut exaucée : le désir de servir les idoles disparut du cœur du peuple. Mais en même temps, quelque chose d’essentiel s’éteignit : la prophétie. Car là où le mal perd de son intensité, le feu du divin se retire aussi. Avec la mort des derniers prophètes — ‘Haggaï, Zacharie, Malachie et, selon certaines traditions, Ezra et Néhémie — s’achève l’ère de la révélation directe. La voix de D.ieu ne se fait plus entendre. Désormais, la Présence divine ne se manifeste plus dans la parole prophétique, mais dans l’étude, l’interprétation, la discussion. Commence alors l’époque de la Torah ché-be-al-pé, la Torah orale : le temps du débat, de la transmission et de la responsabilité humaine.

C’est dans ce silence prophétique que s’engouffre la culture grecque. La pensée hellénique, d’abord accueillie avec curiosité et respect, va peu à peu s’imposer comme un système complet, porteur d’une conception du monde où l’homme devient la mesure de toute chose. Aux yeux des Sages, ce n’est pas l’empire grec en tant que puissance politique qui menace Israël, mais la prétention de la raison humaine à se substituer à la Révélation. La ‘hokhma grecque devient alors une « Torah étrangère », une sagesse qui cherche à effacer la différence entre le profane et le sacré.

Les ‘Hachmonayim ne se lèvent donc pas d’abord contre une armée, mais contre une dérive spirituelle. Leur combat est une résistance intérieure : ils s’opposent à l’interdiction de la Torah, à la profanation du Temple, à l’effacement des signes de l’Alliance — la berith milah, le Chabbath la sanctification du Nom. Ce n’est qu’en dernier recours, lorsque l’étude et la transmission deviennent impossibles, que les prêtres prennent les armes. Leur guerre n’est pas une conquête, mais une sauvegarde : préserver un espace où la parole de D.ieu puisse encore être vécue, enseignée et transmise.

 

Quand il ne reste rien, il reste encore de l’huile

C’est pourquoi la souveraineté politique n’est pas au cœur de ‘Hanouka. Le véritable symbole de la fête, c’est la fiole d’huile — cette petite quantité de pureté qui résiste à la profanation. Elle ne nie pas la guerre, mais elle en déplace le centre : la victoire décisive ne se joue pas sur le champ de bataille, mais dans la sauvegarde d’un mode de transmission. Ce que l’on célèbre, ce n’est pas la reconquête du pouvoir, mais la survie d’une lumière intérieure, la persistance d’un souffle de Torah quand tout semblait éteint.

Or, cette lumière n’a pas été fixée dans un texte. On ne peut trouver, dans tous les textes bibliques, la moindre mention de ‘Hanouka. Ni verset, ni Méguila, ni livre historique consacré à la révolte des Maccabées dans le canon biblique juif. Ce silence n’est pas un oubli : il est un choix. ‘Hanouka est la fête de la Torah orale, de la parole qui circule, qui se souvient, qui se réinvente. Là où Pourim a sa Méguila, ‘Hanouka n’a que la voix des maîtres. Et le Talmud, lorsqu’il s’interroge : « Ma-hi ‘Hanouka ? » — « Qu’est-ce que ‘Hanouka ? » — ne cite aucun texte d’autorité. Il commence simplement par : Dé-tanou Rabbanan — « nos Sages ont enseigné ». Pas de verset, pas d’écrit. Seulement une parole transmise, un enseignement reçu. Comme si la mémoire de ‘Hanouka ne pouvait vivre qu’à travers la voix humaine, la relation, la confiance : « Crois-moi, car je te transmets ce que j’ai entendu. »

Cette absence d’écrit n’est donc pas un manque, mais une cohérence profonde. ‘Hanouka marque l’entrée du judaïsme dans une ère où la sainteté ne descend plus du ciel par la prophétie, mais remonte d’-bas par la parole des Sages, la fidélité des maîtres et des élèves. Allumer les lumières de ‘Hanouka, c’est raviver cette flamme invisible de la transmission : un feu qui ne sert à rien d’autre qu’à rappeler. La ‘Halakha le souligne : on ne peut pas utiliser la lumière des bougies de ‘Hanouka pour s’éclairer, lire ou travailler. Elle ne doit rien produire, sinon du sens. On y adjoint le chamash pour les besoins pratiques, afin que la lumière principale reste pure, gratuite, inutile — une lumière qui n’éclaire pas le monde, mais l’âme.

Et cette lumière, enseigne encore le Talmud, doit être allumée ich ou-veito — « un homme et sa maison ». C’est à la maison que tout se joue : non dans le Temple, non dans la cité, mais dans l’intimité du foyer. Contre le froid de l’hiver et la nuit du monde, la flamme de ‘Hanouka s’allume au seuil de la demeure, visible de l’extérieur mais enracinée à l’intérieur. Elle n’est pas l’expression d’un pouvoir collectif, mais d’une chaleur familiale : celle d’un homme qui transmet la lumière à sa famille, d’une génération qui éclaire la suivante. Chaque bougie devient un acte de mémoire et d’amour, un geste simple qui dit : « La lumière continue. »

Mais plus encore, cette fiole d’huile, au cœur du récit de ‘Hanouka, exprime un mystère plus ancien : dans notre Tradition, lorsqu’il ne reste plus rien, il reste toujours de l’huile. Toujours un point de départ, une goutte de lumière pour recommencer. Ya’akov en est le premier témoin. Dépouillé de tous ses biens par Élifaz, sur ordre de son père ‘Essaw / Ésaü, il n’a plus ni vêtement ni pain. Et pourtant, il dresse une pierre pour autel et y verse de l’huile pour sceller une alliance avec D.ieu Beréchith / Genèse 28). Mais d’où vient cette huile, alors qu’il ne lui reste plus rien ? Nos maîtres répondent : de ses années d’étude. Quatorze années passées chez Chem et Éver, nourries uniquement par la lumière de la Torah — une huile spirituelle que nul voleur ne peut lui prendre.

 

De même, la Chounamith, la veuve d’Ovadia, dans le Livre des Rois, ne possède plus rien. Le roi veut saisir ses enfants comme esclaves pour rembourser la dette contractée par son mari. Le prophète Élicha lui demande : « Que te reste-t-il dans ta maison ? » — Elle répond : « Il ne me reste qu’une petite fiole d’huile. » Et c’est précisément de cette fiole que naîtra le miracle : l’huile se multiplie, remplit tous les récipients et permet de sauver ses enfants. Nos Sages expliquent : cette fiole, c’est l’héritage spirituel d’Ovadia, qui s’était endetté pour nourrir cent prophètes cachés dans des grottes, leur offrant de quoi vivre et surtout de quoi étudier.

Dans les deux récits, l’huile est ce qui demeure quand tout le reste s’effondre : le signe d’une fidélité qui ne dépend pas des moyens matériels. Elle représente la pureté de la transmission, la part inviolable de la Torah. C’est elle qui assure la continuité du peuple d’Israël, sa capacité à renaître après chaque perte, à rallumer la flamme à partir de presque rien.

‘Hanouka reprend ainsi ce fil invisible : même quand tout semble perdu, il reste toujours un peu d’huile — un peu de foi, un peu de Torah, un peu de lumière à transmettre. Et tant que cette goutte subsiste, la chaîne ne se rompt pas.

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