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Flavius Josèphe – Traître au peuple juif ? Patriote lucide et pragmatique ?

Un certain Yossef Ben Mattithyahou, surnommé Flavius Josèphe, témoin irremplaçable de la destruction du Temple. Alors qui es-tu, Yossef Ben Mattithyahou ?
Flavius Josèphe - Traître au peuple juif ? Patriote lucide et pragmatique ?

Yossef, notable et chef de guerre

Yossef ben Mattithyahou naît en 37 de l’ère actuelle à Jérusalem, au sein d’une famille prestigieuse de kohanim, qui le fait bénéficier d’une solide éducation de jeune aristocrate. Il fréquente ainsi (et nous fait connaître en témoin incomparable) tous les milieux de la société juive de son temps, sadducéens comme pharisiens (pour lesquels il manifeste sa préférence et son grand respect) mais aussi les maîtres esséniens réfugiés dans le désert de Judée. Remarqué pour sa vive intelligence, sa culture et son sens de l’autorité, il est nommé en 66, au début de la révolte contre les Romains, général gouverneur de Galilée, dont il doit assurer le ralliement au soulèvement et organiser la défense. De fait, il parvient à unifier les groupes d’insurgés, fait fortifier les villes et les gros bourgs, et lève une armée non négligeable : 60 mille fantassins, 350 caval­­iers, des mercenaires et six cents hommes pour assurer sa protection. Mais les troupes romaines, dirigées par Vespasien, se déploient en une impressionnante et redoutable manifestation de force en Galilée. Tsipori, la plus grande ville de la province, s’est rendue sans même livrer bataille ; les forces juives, d’un courage extraordinaire mais peu expérimentées, auraient besoin de renforts, que les dirigeants de Jérusalem sont dans l’incapacité de leur fournir ; Yossef, que certains soupçonnent déjà de faiblesse et de compromission avec le parti pro-romain, se voit bientôt encerclé dans la forteresse réputée imprenable de Yodfath. Malgré sa tenace ingéniosité face à la lourde machine de guerre romaine, et malgré l’ardeur désespérée de ses troupes, Yossef voit arriver l’assaut final mené par Titus, le fils de Vespasien, et un terrible massacre se dérouler dans toute la ville : le siège fit au total quarante mille morts chez les Galiléens, et la forteresse fut rasée sur l’ordre de Vespasien.

 

Yossef, quant à lui, s’était réfugié en compagnie d’une quarantaine de notables munis de vivres, dans une vaste citerne ouvrant sur une grotte invisible d’en-haut. Mais les voilà dénoncés : alors que ses compagnons reprennent le cri de tant d’autres « la liberté ou la mort ! », Yossef a compris que leur lutte inégale contre l’occupant romain est sans espoir ; rejoignant l’opinion des grands maîtres du temps, tel Rabbi Yo’hanan ben Zakkaï, qui prônent la soumission pour sauver ce qui peut l’être encore, il nous fait part d’une étrange prière où il se voit comme investi d’une mission historique et s’adresse ainsi à D.ieu :

 

« Maître du Monde, créateur de l’univers, puisqu’il Te plaît de mettre fin à la prospérité de cette nation juive que Tu as créée, pour la faire passer du côté des Romains, et que Tu m’as choisi pour prédire ce qui doit arriver, je me soumets aux Romains, me rends à eux de mon plein gré, et je consens à vivre ; mais je proteste devant Ton éternelle majesté que ce sera comme Ton serviteur et non pas comme un traître que je me remettrai entre leurs mains. »

Dans son esprit exalté, Rome devient ainsi la nouvelle Babylone et Vespasien prend la place de Nabuchodonosor, promis à la domination du monde, tandis que lui-même adopte le rôle d’un nouveau Jérémie. Il feint alors de se plier à l’avis de ses compagnons, qui ne voient d’autre issue que le suicide pour échapper à une mort humiliante, et leur propose un habile tirage au sort : devant se tuer l’un après l’autre, c’est lui que ce tirage ingénieux désignera pour transpercer le dernier des survivants. Mais il refusera finalement de le tuer et, préférant le sauver avec lui, il put ainsi se glorifier dans son récit d’avoir survécu « à la guerre avec les Romains comme à la guerre avec ses amis ».

 

Les soldats romains voient alors s’avancer un jeune général de trente ans, au port fier, qui vient se soumettre au plus grand général romain de son temps, plus du double de son âge ! Mais Titus, fils de Vespasien, a justement le même âge que lui et lui voue, dès cet instant, une amitié respectueuse qui, pour son plus grand bien, ne se démentira jamais. Yossef est conduit à Vespasien, à qui il demande un entretien privé et, devant Titus comme témoin, il lui livre alors comme une prophétie ce dont sa connaissance de l’histoire d’Israël l’a convaincu : D.ieu ne peut châtier son peuple qu’en choisissant un conquérant digne de lui. Vespasien comme son fils Titus sont donc à l’évidence promis à régner sur l’empire ! Il est intéressant de noter, au passage, que c’est la même « prophétie » que Rabbi Yo’hanan ben Zakkaï délivrera, trois ans plus tard, à Vespasien.

 

Yossef va certes garder les chaînes du prisonnier, et il sera utilisé comme interprète pour haranguer les assiégés à Jérusalem. Rôle douloureux, qui le confronte aux extrémistes jusqu’au-boutistes qui l’invectivent, et où il risque d’ailleurs d’être tué. Mais il jouira par ailleurs d’un traitement exceptionnel de la part de ses nouveaux protecteurs, qui le combleront de faveurs et qu’il va suivre, après la fin de la guerre, jusqu’à Rome, où il résidera désormais jusqu’à la fin de sa vie.

 

Titus Flavius Josephus

Yossef Ben Mattithyahou a donc eu la vie sauve. Ou a, plutôt, choisi de vivre. Mais un nouveau personnage vient à naître : selon l’usage romain, notre héros déchu de la guerre d’insurrection prend le patronyme de ses protecteurs. On va le connaître désormais sous le nom, dans sa version française, de Flavius Josèphe, notable en vue dans la cour impériale, menant grand train malgré la simplicité de ses mœurs et résidant dans l’ancienne résidence de Vespasien lui-même. Il va bénéficier des archives romaines pour rédiger de nombreux ouvrages, sources inépuisables d’informations précieuses pour nous sur l’histoire et la vie des Juifs, et sur les événements qui vont conduire à la destruction de Jérusalem et du Temple. Il écrit donc plusieurs ouvrages d’importance, rédigés en grec mais immédiatement traduits dans les principales langues de l’empire : Guerre de Judée, Antiquités Judaïques, Contre Apion (où il défend l’honneur des Juifs et du judaïsme face aux calomnies largement diffusées contre eux à Rome depuis l’Égypte), et Autobiographie.

 

Ces ouvrages s’assureront une place de choix dans toutes les bibliothèques savantes, depuis l’Antiquité jusqu’au XIXᵉ siècle à tout le moins.

 

Et c’est là que se manifeste toute l’ambiguïté du personnage : à la fois Juif fier de ses origines, toujours sur la brèche pour illustrer la gloire de son peuple et de sa tradition religieuse, témoin précieux de la grandeur de Jérusalem et de sa chute tragique, historien méticuleux de son temps et conscient du rôle qu’il se donne en tant que tel. Il écrit ainsi : « L’historien qui mérite des éloges est celui qui consigne des événements dont l’histoire n’a encore jamais été écrite, et qui fait la chronique de son temps à l’intention des générations à venir. »

 

Par sa plume habile, il va se consacrer à la réhabilitation des Juifs aux yeux des vainqueurs romains, dans un langage compréhensible par les élites impériales. Il va, par la même occasion, défendre son rôle dans la révolte comme dans sa soumission : fervent patriote, il a eu la lucidité prophétique de comprendre l’inutilité et le danger de la lutte suicidaire contre les Romains ; et il a fait le choix salvateur du réalisme politique, en assumant une responsabilité historique permettant d’assurer la survie du peuple juif. Tout comme Rabbi Yo’hanan ben Zakkaï.

 

Mais il s’est fait aussi propagandiste volontiers obséquieux, au service de ces empereurs qui lui assurent honneurs et protection, et envers lesquels il ne néglige aucune flatterie intéressée ; dans ses ouvrages largement diffusés à travers tout l’empire, il déroule un discours solidement argumenté : vous peuples soumis qui rêvez de secouer le joug des Romains, voyez la grandeur passée du peuple d’Israël, le courage et la détermination de ses défenseurs qui, après une lutte désespérée, ont dû se soumettre dans un tragique et inutile bain de sang ; prenez donc garde de vous engager sur une voie semblable, qui ne pourrait aboutir qu’à la ruine de vos nations !

 

Du côté juif, on ne cessera alors de dénoncer le traître à la cause nationale sacrée ; celui qui, abrité sous l’aile protectrice de cruels conquérants, ne cesse de dénoncer ses anciens compagnons, qui ont eux choisi de mourir dans l’honneur ; celui qui n’a pas de mots trop durs pour stigmatiser les partisans de la lutte à outrance, responsables selon lui de la chute dramatique de Jérusalem ; celui qui se montre fier d’appartenir à une famille prestigieuse de kohanim, mais qui se laisse affubler du patronyme des tyrans.

 

Plus tard, on verra en lui celui qui, décrivant comme aucun autre les horreurs subies par ses frères, aura fourni des armes précieuses à l’argumentaire chrétien antijuif : dans leur odieuse vision d’un peuple juif déicide, déchu de l’Alliance divine, et condamné à une errance humiliante parmi les nations, les théologiens chrétiens puiseront largement dans ses écrits pour montrer les Juifs dans leur déchéance face au christianisme triomphant.

 

Alors, traître au peuple juif, ou historien moraliste et penseur politique prônant le réalisme pragmatique, à la croisée de l’histoire, de la politique et de la foi religieuse ? Tout dépend bien sûr de la lecture que l’on fera des événements et du rôle historique de Flavius Josèphe. À l’époque moderne, une position plus nuancée se fait jour, notamment en Israël, où l’on a pu apprécier à leur juste valeur les informations, uniques à tout point de vue, que Yossef ben Mattithyahou a pu laisser à la postérité : ses récits et descriptions ont fourni aux historiens et archéologues _au départ souvent incrédules_ des données précieuses pour leurs recherches (notamment à Massada), au moment précis des retrouvailles du peuple juif avec sa terre et son passé. Cet homme, avec toutes ses faiblesses et ses ambiguïtés, aura fait le choix douloureux du réalisme politique et aura consacré dès lors sa vie et son œuvre à la défense et à l’illustration de la grandeur de son peuple. On peut alors lui reconnaître le mérite d’avoir choisi, non sans courage, de parler aux vainqueurs, pour sauver la mémoire, l’honneur et la dignité des vaincus, ses frères.

 

 

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