Du 3 au 6 Août 1934, la communauté juive de Constantine a subi un pogrom qui marque encore la mémoire des Juifs d’Algérie : vingt-cinq Juifs sont en effet sauvagement assassinés par une foule déchaînée, excitée par certaines rumeurs, mais aussi travaillée par l’antisémitisme des colons européens ainsi que par la propagande nazie diffusée dans le monde arabe. Le traitement historique de cet événement montre à quel point il doit être vu comme symptomatique du discours sur le statut des Juifs et, d’une manière générale, sur celui des minorités non musulmanes en terre d’Islam. Entre le déni et la réécriture de l’histoire, on occulte bien plus qu’on ne raconte.
Constantine, Août 1934 : quand musulmans et chrétiens s’unissent dans la haine du Juif.
Les faits
Le pogrom de Constantine survient durant le mois d’Av, qui correspond à une période dramatique dans l’histoire du peuple juif. En effet, la période du 3 au 6 Août 1934 correspond, dans le calendrier hébraïque, aux dates du 22 au 25 Av 5694. Ce mois est marqué par la destruction des premier et deuxième Temple de Jérusalem. Plusieurs autres tragédies majeures se sont déroulées durant cette période de l’année juive, la plus marquante étant l’expulsion des Juifs d’Espagne, le 9 Av de l’année 5252 (2 Août 1492). C’est donc une période de malheurs répétés dans la nuit des exils du peuple juif.
Commençons par les faits.
Tout commence avec des rumeurs colportées dans la population musulmane. Un Juif nommé Eliyahou Kalifa, maître tailleur de son état, aurait injurié des musulmans ; il aurait également uriné et craché sur les murs de la mosquée. Ce fait, qui n’est établi de manière claire par aucune autorité, provoque les premières violences, notamment contre le domicile du tailleur juif. Les autorités tentent péniblement de rétablir le calme. Des personnalités juives et musulmanes sont envoyées en émissaires vers leurs communautés ; elles font le tour de leur quartier respectif afin d’apaiser leurs fidèles . Du côté musulman, Mohamed Saleh Bendjelloul et le cheikh Abdelhamid Ben Badis s’adressent aux musulmans, rassemblés dans les mosquées, pour les exhorter au calme et à la sérénité. Du côté juif, c’est une des grandes personnalités du monde juif, Rabbi Sidi Fredj Halimi, qui fait le tour des synagogues. Mais l’apaisement ne dure pas.
Le lendemain, une nouvelle rumeur se répand dans les quartiers musulmans : Mohamed Saleh Bendjelloul a été assassiné. A l’heure où la colère gronde, alors que la rumeur se répand comme une traînée de poudre, il est présent à l’enterrement de l’un de ses amis juifs, Emile Narboni. Rapidement, il se rend sur les lieux d’une manifestation spontanée, où sa présence ne parvient pourtant pas à calmer les émeutiers. Le pogrom commence par un assaut contre des magasins juifs. Les Juifs tentent de se défendre en tirant sur la foule déchaînée. Rien n’y fait : la foule fanatisée et sanguinaire se répand dans le quartier juif. On retrouvera des têtes coupées, des cadavres au crâne défoncé à coup de marteaux. Les victimes sont sauvagement torturées par leurs assaillants. Les forces de l’ordre se montrent peu réactives sinon même absentes. Des centaines de magasins sont pillés et détruits et le bilan humain est particulièrement lourd : 28 morts (25 juifs et 3 musulmans), 81 blessés (38 juifs, 35 musulmans, 7 militaires et 1 pompier). On compte 1777 sinistrés. Parmi les Juifs assassinés, 14 avaient le cou sectionné ou tranché, 8 avaient le crâne défoncé. Une victime avait été tuée à coups de couteau, deux autres par balle. Le 6 Août, les renforts enfin venus d’Alger rétablissent laborieusement le calme.
Une des premières conséquences de ce pogrom sera l’exil en nombre des Juifs de Constantine: ils seront plus de mille à partir pour Tunis ou Paris.
Les causes du pogrom : quand l’antisémitisme européen fait le lit de la jalousie des indigènes
La France des années 30 est le théâtre d’un antisémitisme virulent. L’Algérie n’est pas épargnée : les colons blancs font preuve, depuis déjà l’Affaire Dreyfus, d’un antisémitisme exacerbé, qui renforce les sentiments anti juifs de la population musulmane. On évoque également la présence d’agents allemands, qui propagent dans les colonies françaises les théories hitlériennes. L’antisémitisme des musulmans, quant à lui, n’a pas besoin d’être activé ou réveillé. Il appartient à la longue tradition de la haine des Juifs en terre d’Islam. Les discours enflammés de propagandistes, tel le triste mufti de Jérusalem, distillent des slogans appelant à la solidarité musulmane face aux menées sacrilèges des Juifs sionistes. Rappelons que d’autres pogroms se sont déroulés en Afrique du Nord ; à Casablanca en 1907, à Fez en 1912. Le statut des Juifs, avant la colonisation française, portait un nom : la dhimma, qui régissait le sort du dhimmi, « sous-homme » qui appartient à des groupes ou des tribus non musulmanes. Dans le meilleur des cas, il est toléré. Dans le pire des cas, il est systématiquement maintenu dans un état de soumission et d’humiliation, quand il ne fait pas l’objet de persécutions.
Qu’en était-il des Juifs en Algérie avant l’arrivée des Français ? Réponse d’une grande spécialiste de l’Islam : « Ils sont à Alger le peuple le plus opprimé ; il leur est interdit de résister à toute agression personnelle, venant d’un Musulman. Ils sont obligés de porter des vêtements noirs ou sombres. Il leur est interdit de monter à cheval ou de porter une arme, pas même une canne […] Chaque fois qu’une corvée inattendue doit être exécutée, les Juifs sont amenés pour la faire. En été 1815, le pays est couvert de sauterelles qui détruisent toute verdure sur leur passage. Plusieurs centaines de Juifs reçurent l’ordre de protéger les jardins du Pacha, où ils furent obligés de surveiller et de souffrir jour et nuit, aussi longtemps que les insectes continuaient à infester le pays ». (In Bat Ye’Or, “Le Dhimmi” p. 229. Ed. Anthropos).
Les Juifs étaient donc systématiquement persécutés, humiliés et très souvent victimes de procès iniques qui se soldaient par des tortures et des exécutions publiques, où le sadisme le disputait à la cruauté des juges et des dirigeants politiques.
Durant les années 30 du 20ème siècle, les propagandistes européens de l’extrême-droite s’appuient précisément sur ces « indigènes » pour diffuser la propagande antisémite d’inspiration nationaliste. Ils jouent habilement sur la frustration des musulmans, face à une communauté juive qui, grâce au décret Crémieux, a eu accès à la citoyenneté française. Ce cocktail se révélera explosif et, lors du massacre de Constantine, les antisémites européens ne feront rien pour arrêter les assassins musulmans. Les troupes présentes sont curieusement lentes à se mettre en action. Ces faits sont souvent méconnus de nos contemporains, qui tendent à vivre sur un narratif complètement déformé : la vérité est que les Juifs ont été systématiquement persécutés en terre d’Islam, à l’exception notable de quelques périodes dorées, durant lesquelles les potentats au pouvoir avaient trop besoin d’eux pour les traiter brutalement. Il est étonnant que l’histoire des Juifs en terre d’Islam soit aussi méconnue. On verse souvent dans l’angélisme et la falsification de l’histoire, en laissant croire que ces communautés juives vivaient dans une parfaite harmonie avec leur entourage musulman. Le pogrom de Constantine en est une sinistre illustration : les Juifs en terre d’Islam, même colonisée, restaient des sujets détestables. Jalousés et honnis par nombre de Musulmans, trop souvent instrumentalisés par les colonisateurs ; ils étaient à la merci des passions meurtrières des uns et des autres.
Une réponse
Ma mére, de mémoire bénie, fut une des rescapées de ce pogrom, alors âgée d’un an, son pére la cacha dans une malle en osier dans leur maison rue baby à Constantine. Mon grand pére connaissait un grand noir algérien qui faisiat parti des zouaves (connu alors pour couper des têtes) et s’était posté à la porte de leur maison, pour qu’aucun arabe puisse entrer et réaliser leurs exactions. Ils furent donc sauvés. En 1939 la famille de ma mére se retrouva à Paris et passérent toute la guerre sur fond d’étoile juive, de nazis et gestapos la rue du trésor et à la rue des écouffes, dans le marais. je détiens encore les cartes d’identités de mes deux grands parents tachés du sceau rouge »juif » et datées de 1942. Voilà pour la petite histoire.