Les aficionados du genre attendent avec impatience juillet 2025, où ils pourront retrouver les aventures de Superman, de retour après une dizaine d’années de paisible retraite, ainsi que les “Premiers pas” des 4 Fantastiques, qui sauveront le monde du diabolique Galactus, prêt à dévorer la planète dans les années 60.
Mais après réflexion, nous sommes quelque peu surpris par la surreprésentation de personnages juifs ou d’origine juive qui peuplent le panthéon des super-héros : Magneto (Erik Lehnsherr), survivant de la Shoah ; Kitty Pryde (Shadowcat), membre des X-Men, fière de son identité juive ; La Chose (Ben Grimm), bien sûr, membre des Quatre Fantastiques ; Moon Knight (Marc Spector), fils de rabbin ; sans oublier Sabra (Ruth Bat-Seraph), une super-héroïne israélienne, agent du Mossad, et encore de très nombreux autres.
Y a-t-il une raison à cette présence massive, ou n’est-ce qu’un effet du hasard ou de mon imagination ?
Le fait est que presque tous les créateurs de super-héros sont juifs, originaires d’Europe centrale : Bob Kane (Batman) ; Will Eisner (Le Spirit) ; Jack Kirby (Les Quatre Fantastiques, Hulk, les X-Men) ; Joe Simon (Captain America) et Stan Lee (Spider-Man).
En effet, au début du XXe siècle, plusieurs vagues d’immigrés juifs d’Europe centrale arrivent à Ellis Island, porte d’entrée de New York et du pays de tous les possibles, les États-Unis. Conscients que les portes d’accès de la publicité et de l’édition leur sont souvent fermées, les illustrateurs et scénaristes juifs privilégient l’industrie du comic book, courtes bandes dessinées publiées dans la presse écrite.
Ces auteurs juifs, marqués par leur propre histoire et leurs propres difficultés, créeront des héros qui toucheront profondément l’imaginaire populaire.
Pour comprendre un peu mieux le phénomène, nous nous pencherons sur le père des super-héros du comic book, celui qui a défini les codes du genre par son costume distinctif, sa double identité, ses pouvoirs extraordinaires et surtout sa lutte contre le mal. Je cite ici, bien sûr, Superman. Et pour parodier l’inimitable Louis de Funès, nous souhaiterions lui demander : “Superman, vous êtes juif ?”
La réponse est simple : Clark Kent n’est pas juif. Sauf que… Si on lui demande son ancien nom, Superman s’appelait Kal-El et son père Jor-El. L’élément « El » réfère dans la Bible à l’un des noms de Dieu. Il figure dans les noms d’Israël, bien sûr, mais aussi dans celui des anges comme Mikhaël et Gabriel.
Si l’on continue à réfléchir, on ne peut manquer la similitude entre Superman et d’autres personnages de la Bible. Bien sûr, avec son physique parfait et sa force supérieure, Superman peut faire penser au juge Samson à la longue chevelure. Mais un regard plus acéré le rapproche plutôt du libérateur par excellence : Moché Rabbénou. Alors que la planète Krypton est sur le point d’être détruite, un couple place son bébé dans un vaisseau pour qu’il échappe à la mort. La fusée traverse l’espace jusqu’à la Terre, où l’enfant est adopté. Les débuts de Superman sont indéniablement ceux de Moïse, à une modernisation près, où le berceau dérivant sur le Nil a été remplacé par une fusée et la princesse Batya par Jonathan et Martha Kent.
L’explosion de Krypton évoque, elle aussi, des images kabbalistiques : Dieu se serait en partie retiré du monde, sa parole se serait brisée lors de ce que l’on appelle la Shevirat HaKelim ou la rupture des vases, pour laisser sa place à l’homme ainsi que son rôle de réparation.
Ceci devient beaucoup plus clair lorsque l’on sait que les créateurs de Superman sont juifs. Jerry Siegel et Joe Shuster étaient adolescents à la fin des années 1930, lorsqu’ils inventèrent Superman. Ils étaient les enfants d’immigrants juifs qui avaient fui d’Europe aux États-Unis. Ils connaissaient l’antisémitisme déchaîné à travers le traumatisme de leurs parents. Aux États-Unis aussi, ils vécurent au début en tant qu’immigrés dans des conditions précaires.
Il n’est pas surprenant que des jeunes traumatisés, socialement exclus et économiquement défavorisés, imaginent des héros surpuissants, dans les aventures desquels ils peuvent réaliser leurs rêves et échapper pour un moment à la réalité.
Dans ces temps particulièrement difficiles pour le peuple juif, ils s’inspirent aussi d’un autre héros juif : le Golem de Prague. Cette statue de terre, formée par le célèbre Maharal de Prague (1525-1609), qui lui donne la vie par des procédés kabbalistiques, est dotée d’une force invincible qu’il utilise pour protéger les juifs de leurs ennemis.
Superman, l’homme d’acier, invulnérable et doté d’une force surhumaine, d’une super vitesse, ainsi que, XXe siècle oblige, d’une vision à rayons X puis à rayons laser, protège l’humanité des super-méchants.
On retrouve aussi le Golem chez un autre super-héros : Captain America (qui n’est pas juif même si ses créateurs Joe Simon et Jack Kirby le sont). Le Dr Abraham Erskine (initialement Dr Reinstein, référence à Einstein) joue le rôle du rabbin créateur, le sérum de super-soldat remplace la magie kabbalistique, et le « A » sur le casque de Captain America évoque l’aleph (א) inscrit sur le front du Golem. L’étoile sur son bouclier rappelle-t-elle l’étoile de David ? Peut-être… Sa première couverture le montre frappant Hitler au visage, un acte d’une audace extraordinaire à une époque où l’Amérique était encore neutre.
Superman s’investira bien sûr lui aussi dans la guerre contre les nazis, suivi plus tard par Captain America et les Quatre Fantastiques. Ce qui apparaît, dans un premier temps, comme un désir de voir les États-Unis s’investir dans le second conflit mondial et, plus tard, comme la réparation fantasmatique d’une catastrophe — la destruction des juifs d’Europe — qu’aucune armée alliée n’a pu ou voulu éviter.
Dès 1940, une bande dessinée intitulée « Comment Superman mettrait fin à la guerre » montrait Superman disant à Hitler : « J’aimerais lui donner un coup de poing strictement non aryen sur la mâchoire ».
Ceci n’échappera pas au sombre Joseph Goebbels, ministre nazi de la propagande, qui s’exclame lors d’une réunion : « Superman est juif ! »
Ce super-héros, créé par des juifs, qui détruit le mur de l’Atlantique et la ligne Siegfried, qui incarne la justice, la vérité et l’espoir et se distingue par sa morale inébranlable et son engagement envers la protection des innocents, ne pouvait être vu autrement par l’Allemagne nazie.
C’est l’enfant exilé, issu d’un peuple persécuté, élevé dans une nouvelle terre, porteur d’un message d’espoir et de justice universelle.
Si Jerry Siegel et Joe Shuster ont vendu les droits de Superman pour 130 misérables dollars, alors que la franchise rapportera des fortunes, l’histoire retiendra le modèle du héros tel qu’ils l’ont défini.
D’autres super-héros reprendront chacun à sa manière les problématiques juives.
Les X-Men représentent peut-être l’exemple le plus marquant d’une métaphore juive dans l’univers Marvel. Créés en 1963 par Stan Lee et Jack Kirby, tous deux juifs, les mutants découvrent leurs pouvoirs à l’adolescence (comparable à la bar/bat mitzvah), sont persécutés pour leur différence et fréquentent une école spéciale pour apprendre leur héritage, avec le professeur Charles Xavier en lieu et place du Roch Yéchiva, vénérable mentor.
Ben Grimm, La Chose
Ben Grimm, membre fondateur des Quatre Fantastiques, représente l’un des exemples les plus profonds d’un super-héros juif dans l’univers Marvel, bien que son identité juive ait été implicite pendant des décennies.
L’histoire révèle que Ben, originaire de Yancy Street (version fictive de Delancey Street dans le Lower East Side, vieux quartier juif de New York), avait volé une étoile de David dans sa jeunesse chez un commerçant juif nommé M. Sheckerberg.
Des années plus tard, devenu super-héros, il retourne rendre le bijou et révèle ses craintes : « Je ne le crie pas sur les toits, c’est tout. Je me dis qu’il y a assez de problèmes dans ce monde sans que les gens pensent que tous les juifs sont des monstres comme moi ».
Cette révélation illustre un aspect tragique : Ben Grimm, malgré ses actes héroïques, craignait que son apparence monstrueuse se reflète négativement sur la communauté juive. Son aspect de statue rocheuse à la force sidérante rappelle bien évidemment aussi le Golem de Prague.
Ce sentiment d’être un outsider, combiné à la responsabilité communautaire, reflète des thèmes profondément ancrés dans l’expérience juive.
Magnéto, le survivant de la Shoah
Magneto (Erik Lehnsherr), l’homme magnétique, constitue sans doute l’exemple le plus puissant de la manière dont Marvel a intégré l’expérience juive dans ses récits. Survivant d’Auschwitz, Magneto a vu sa famille assassinée par les nazis et a été forcé de travailler dans les Sonderkommandos.
Son expérience de l’Holocauste façonne entièrement sa philosophie et ses actions. Comme l’explique une analyse : « Son rôle de leader de la résistance mutante, l’homme qui dit de ne pas s’assimiler ou se soumettre, de vivre librement et idéalement ensemble pour votre sécurité, est entièrement dû à l’expérience de Magneto en tant que survivant juif de l’Holocauste », celui qui vit au nom du “Plus jamais ça”.
Shadowcat / Kitty Pryde : la fierté juive
Kitty Pryde (Shadowcat) représente une approche différente de l’identité juive dans l’univers Marvel. Créée en 1980 par Chris Claremont (lui-même juif), elle fut l’une des premières héroïnes explicitement juives.
Kitty porte fièrement une étoile de David et discute ouvertement de sa religion avec ses coéquipiers comme Nightcrawler. Elle observe les fêtes juives et n’hésite pas à affirmer son identité.
Dans une scène emblématique, elle visite, avec Magneto, le Mémorial national de l’Holocauste, où elle pleure son grand-père survivant de l’Holocauste.
Sabra : l’agent un peu trop secrète
Les modifications d’identité de certains autres héros Marvel devraient peut-être nous inquiéter. La super-héroïne Sabra, ou Ruth Bat-Seraph, israélienne, agent du Mossad, apparaît dans le récent “Captain America : Le Meilleur des Mondes”.
Mais pour des raisons commerciales assez évidentes, au lieu de travailler pour le Mossad, comme à ses débuts dans la bande dessinée en 1980, elle est désormais une ex-espionne du programme soviéto-russe Black Widow.
Marvel et Disney ont délibérément effacé un élément clé de l’histoire de Sabra, pas pour les besoins de l’intrigue, juste pour céder, lâchement, aux récriminations plus sonores qu’argumentées de la rue anti-israélienne.
Pour pousser un peu plus loin notre réflexion, il est particulièrement intéressant de souligner le projet typiquement juif d’une grande partie des super-héros.
Il pourrait se résumer dans les mots : “Tikoun Olam”, la réparation du monde.
Le nom originel de Superman est Kal-El — portant le nom hébraïque de Dieu, El, et évoquant peut-être même la voix divine, puisque le mot hébreu pour voix est « kol ». Ainsi, Kal-El signifie « la voix de Dieu », parfaitement adapté au pendant Marvel de Moché (Moïse), maître des prophètes, législateur et porte-parole de la vérité, de la justice et du bien.
Dans le discours tenu par son père Jor-El, dans Man of Steel, la similitude est encore plus frappante :
« Tu offriras au peuple de la Terre un idéal vers lequel tendre.
Ils te suivront, trébucheront, chuteront.
Mais avec le temps, ils te rejoindront sous le soleil.
Avec le temps, tu les aideras à accomplir des merveilles. »
Qu’y a-t-il de plus juif que l’étranger, l’exilé, celui qui ne se fond pas dans la masse, cette « nation qui demeure solitaire », arrivant sur Terre et faisant tout en son pouvoir pour perfectionner ce monde et le rendre meilleur ?
La vision du judaïsme est d’être un Ohr LaGoyim — un phare pour les Nations — une nation se devant d’être exemplaire et qui s’efforce, par son exemple, d’enseigner à l’humanité la grâce, la beauté et la sainteté inhérentes à la vérité et à la justice.
Et bien que beaucoup reste à accomplir, la Torah a déjà transmis à une grande partie de l’humanité des idéaux fondamentaux tels que la liberté pour tous, l’interdiction du meurtre et du vol, le devoir de prendre soin de l’orphelin, de la veuve et des moins fortunés, la notion que la force ne fait pas le droit, « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », « Tu poursuivras la justice », l’éducation universelle et bien d’autres principes que notre monde développe et continue à mettre en pratique.
La juste compréhension du concept de peuple élu, impliquant bien plus de responsabilités que de privilèges, sera largement reprise par le monde des super-héros : « Un grand pouvoir ne peut se concevoir qu’accompagné de grandes responsabilités ! »
Du discours de Mr Kent à Clark, son fils adoptif, futur Superman, à l’oncle Ben le laissant comme testament à son neveu Peter, futur Spider-Man, cette maxime revient comme un mantra à la résonance typiquement juive.
Ce sont là les fondements du concept du Tikoun Olam, la réparation du monde.
Le Rav Noah Weinberg zt”l, Roch Yéchiva et fondateur de Aish HaTorah, disait souvent que, profondément, chaque être humain souhaite être le Messie. Chacun porte en lui ce désir secret, inné, et ce sens de la responsabilité : non seulement rendre le monde meilleur, mais faire tout ce qui est en notre pouvoir pour le rendre entier et parfait.
Ce désir secret explique merveilleusement bien le succès inépuisable de ces héros modernes mais en fait, tellement anciens…