Pendant la grande peste (1348-1351), on accusait les Juifs d’empoisonner les puits. C’était d’autant plus ridicule qu’en l’absence d’eau courante, les Juifs devaient eux aussi s’approvisionner aux mêmes puits, et comptaient également de nombreuses victimes. Des victimes de la peste, et aussi de leur statut pérenne de bouc émissaire. Ainsi à Strasbourg en 1349, près de 900 Juifs ont été brûlés vifs à la suite d’aveux extorqués sous la torture.
Pendant des siècles, les Juifs ont été accusés de tuer des enfants chrétiens pour entre autres les crucifier ou utiliser leur sang dans la fabrication des matsoth, ce qui était le comble du ridicule. Non seulement un Juif ne tue qu’en cas de légitime défense, mais la consommation de sang lui est rigoureusement interdite. Ou alors, on les accusait de profanation d’hosties afin de les piquer, les poignarder, les brûler ou les écraser dans un mortier, dans un geste supposé reproduire la crucifixion. Cela aussi a mené à des massacres généralisés. Ce n’est qu’au début du XXème siècle que ce genre d’accusations a vu sa fin avec, en Russie, le procès Beilis en 1913. Accusé de meurtre rituel sans l’ombre d’éléments pouvant servir de preuves, Beilis a finalement été acquitté, non sans que le jury n’ait toutefois affirmé que le meurtre avait un caractère rituel.
À partir de là, les accusations changent de direction. Les Juifs sont désormais une race de parasites avides de dominer le monde entier : ils cherchent à contrôler la presse pour manipuler les masses, à déstabiliser les royaumes, s’appliquent à pervertir les mœurs et les valeurs traditionnelles, ils possèdent toutes les banques et visent à l’établissement d’une dictature juive planétaire. En bref, non seulement de dangereux parasites, mais bel et bien de la vermine dont il convient de désinfecter le genre humain. Car quand ils ne se présentent pas comme les maîtres de la finance, ils se font de dangereux révolutionnaires. On connaît la suite.
Beaucoup d’encre a coulé pour s’interroger sur ce mystérieux ‘pourquoi’? Qu’une société ait besoin parfois d’ un bouc émissaire – soit. Mais pourquoi toujours les Juifs, en n’importe quelles circonstances, ou parfois même sans circonstance du tout, telle la ridicule accusation de « déicide », dont l’absurde défie toute tentative d’explication. Tout a été dit : raisons religieuses, économiques (jalousie, boucs émissaires), raciales (idéologie nazie), politiques (théories du complot, antisionisme), culturelles (rejet de la différence). Ces raisons sont souvent contradictoires (ils sont trop visibles ou trop discrets, trop riches ou trop pauvres, trop isolés ou trop unis), et si une seule de ces innombrables accusations avait un poids quelconque, aucune des autres n’aurait jamais été nécessaire.
Comment ?
Mais comment comprendre que des choses si absurdes, si évidemment contraires à la réalité, aient été crues non seulement par des masses incultes à travers les siècles, mais même par des élites intellectuelles ? Ainsi, « Vous ne trouverez chez eux qu’un peuple ignorant et barbare, qui a longtemps joint la plus sordide avarice à la plus dégoûtante superstition », ou encore « Leur loi les oblige à haïr tous les peuples », écrit Voltaire. « Les Juifs, peuple dont l’État n’est que le fanatisme religieux […] sont les parasites de la société », écrit Kant. « Le peuple juif est […] un peuple déicide, impur, infâme », écrit Lamartine. « Ils ont la main sur la presse, sur les bourses, sur l’opinion, sur tout. […] Ils oppriment tout, et ils se font passer pour opprimés », écrit Dostoïevski. Et on pourrait continuer à l’infini ces citations crève-cœur.
Comment ? Comment est-ce possible ? La personne qui l’a le mieux compris n’est autre qu’Hitler. Paradoxalement, le passage suivant de Mein Kampf est censé expliquer une tactique utilisée par les Juifs dans leurs desseins pernicieux, alors que lui-même s’apprêtait à la pratiquer en maître :
« Tout cela s’inspirait du principe — qui est en soi parfaitement juste — qu’il y a toujours une certaine force de persuasion dans le grand mensonge : parce que les larges masses d’une nation sont toujours plus facilement corrompues au niveau des profondeurs de leur nature émotive, plutôt qu’au niveau de la conscience ou de la volonté ; et ainsi, dans la simplicité primitive de leur esprit, elles succombent plus facilement au grand mensonge qu’au petit, car elles-mêmes mentent souvent sur de petites choses, mais auraient honte de recourir à des mensonges de grande envergure. Il ne leur viendrait jamais à l’esprit d’inventer des mensonges aussi colossaux, et elles ne croiraient pas que d’autres puissent avoir l’impudence de falsifier la vérité de manière aussi infâme. Même si les faits qui le prouvent leur sont clairement présentés, elles continueront à douter et à hésiter, pensant qu’il doit y avoir une autre explication. »
C’est donc ainsi : plus c’est énorme et plus on répugne à croire que ce puisse être faux.
Le « grand mensonge » contemporain
Aujourd’hui, le mensonge adopte le visage des « droits de l’homme ». La haine du Juif apparaît aujourd’hui sous les mots ô combien chargés d’émotion de génocide, apartheid et colonialisme, avec une assimilation au goût moderne de sionisme et de judaïsme. En d’autres termes, si tu es juif, c’est manifestement non seulement que tu approuves mais aussi que tu partages les crimes contre l’humanité du sionisme.
Israël coupable de génocide ? Il faudrait s’entendre sur la signification des mots, et c’est une accusation tout particulièrement vicieuse envers les survivants d’un véritable génocide. Si Israël avait voulu éliminer les Palestiniens à Gaza, il y a longtemps qu’il aurait pu le faire. Au lieu de cela, il a pris des mesures pour tenter de protéger les civils que l’on ne trouve chez aucune autre armée au monde, en les prévenant par des tracts ou des coups de téléphone, en tirant sur les toits de petits projectiles inoffensifs afin que les habitants, effrayés, aient le temps de se protéger avant la véritable attaque. Malheureusement, il est vrai qu’il y a eu des victimes civiles, c’est hélas inévitable lors d’un conflit armé. Surtout lorsque les civils font office, comme à Gaza, de boucliers humains Mais l’intention, loin d’avoir été la recherche d’une extermination, a toujours été au contraire d’éviter les pertes civiles chez l’ennemi, dans la mesure du possible. Rappelons que le ‘Hamas a d’ailleurs tout fait non seulement pour gonfler les chiffres de ces victimes, mais même pour les provoquer, en utilisant écoles et hôpitaux comme boucliers humains, en tirant des roquettes depuis des quartiers densément peuplés, en empêchant parfois les civils de fuir, et en faisant passer leurs tunnels sous des habitations, des écoles et des mosquées.
Israël n’est pas non plus coupable d’apartheid. Rappelons qu’il y a des députés arabes à la Knesseth, que les hôpitaux israéliens ont une proportion élevée d’arabes, que ce soit chez le personnel soignant ou chez les malades, que les pharmaciens sont arabes à une écrasante majorité, que les Arabes peuvent s’engager à l’armée s’ils le souhaitent, et que dans les transports en commun on se lève pour une vieille personne, qu’elle soit juive ou arabe. Curieux apartheid, curieux colonialisme.
Et faut-il rappeler qu’une fois encore, ce sont bel et bien les Juifs qui ont fait l’objet d’un pogrom en règle avec tous ses attributs classiques de meurtres, mutilations, viols, familles entières brûlées vives, et rapt de 251 innocents. Le temps de prendre une respiration, le monde presque entier s’est mis à accuser Israël, sans doute par habitude. L’antisémitisme s’alimente d’anciens mythes et de nouvelles haines, se drape parfois dans les habits du progressisme ou du combat contre l’injustice, mais conserve la même logique d’exclusion. C’est à la société mondiale de le reconnaître si elle se veut démocratique, libre et humaine. Quant à nous, ´am Israël ‘haï.